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insisté pour avoir la porte ouverte dans toute la Chine, qu’on pourrait soupçonner de voir d’un bon œil les idées de partage. La France, elle, ou du moins ceux qui dirigent sa politique, s’est trop longtemps complu dans les fêtes de son Exposition ; elle semblait prononcer le cras seria des anciens ; elle s’est enfin décidée à jouer le rôle conciliateur qui doit être le sien en Extrême-Orient, et elle agit en conformité de tous ses intérêts en ne poussant pas à un partage où sa part serait trop maigre.

Reste l’Allemagne. De ce côté, quelques mots un peu vifs ont été prononcés. L’Empereur, dans une de ces allocutions enflammées dont il est coutumier, a engagé ses soldats partant pour l’Extrême-Orient « à ne point faire de quartier, » à répandre la terreur parmi les Chinois comme les Huns d’Attila la répandirent en Europe. Le grand nombre de troupes que l’Allemagne envoie pour la première fois hors d’Europe, le choix fait pour les commander du général le plus connu de l’armée germanique, auquel son grade de maréchal confère le commandement des troupes alliées, sont des signes de l’extrême importance qu’attache Guillaume II à l’expédition de Chine. N’aurait-il point de secrets desseins, de nouveaux et dangereux désirs de conquêtes ? Et, si l’on se rappelle que le prix du sang d’un pauvre missionnaire a été la baie de Kiao-Tchéou, quelle compensation n’exigera-t-on pas à Berlin pour la vie du représentant même de l’Empire ? Voilà ce qu’on s’est demandé, non sans inquiétude, pendant tout le mois d’août. Depuis, ces craintes ont été calmées par diverses communications du gouvernement de Berlin, et le protocole de désintéressement qu’il vient de signer avec l’Angleterre montre qu’une action violente n’est pas plus à redouter de la part de l’Allemagne que d’aucun autre pays, pourvu qu’elle reçoive les justes satisfactions auxquelles elle a droit.

Ce qui paraît plutôt à craindre aujourd’hui, ce n’est pas une extrême sévérité, mais plutôt une excessive indulgence de l’Europe à l’endroit de la Chine. Or, une politique trop douce risquerait d’être à peine moins funeste qu’une politique de violence : elle entretiendrait la Chine dans l’illusion de sa supériorité qui lui est si chère, elle ferait croire à la Cour, aux lettrés aussi bien qu’au peuple, que les barbares d’Occident ont peur du Fils du Ciel. Les manques de foi, les insolences, les attentats ne tarderaient pas à recommencer, lorsqu’on verrait que le massacre de plusieurs centaines d’étrangers, de plusieurs milliers de