Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont enseigné que cette pratique était contraire au droit des gens. L’Institut de droit international n’a pas ratifié leur opinion dans son manuel des lois de la guerre[1], et nous ne saurions l’en blâmer. A mesure que les puissances civilisées restreignent les moyens de nuire à l’ennemi, le belligérant lésé par la violation des règlemens prohibitifs nous semble pouvoir, jusqu’à un certain point, user de réciprocité. Jusqu’à quel point ? C’est pour chacun des États civilisés une question de dignité personnelle, mais la question ne peut pas être posée par les égorgeurs.

Le droit d’intervenir, quoi qu’aient enseigné certains jurisconsultes, est, en thèse, condamné par la loi des nations. En effet, il implique au profit d’un État la faculté d’imposer à d’autres États sa propre volonté, par suite de porter une atteinte à leur indépendance et à leur souveraineté. Cependant il n’est pas de principe auquel on ait, dans la pratique, plus souvent dérogé. Pour ne citer qu’un exemple entre mille, les puissances n’ont pas cessé d’intervenir, depuis soixante-quinze ans, dans les affaires de la Turquie. Bien plus, elles ont puisé dans le traité de 1856, en même temps qu’il admettait la Porte ottomane dans le concert européen, le droit, soit de réclamer l’exécution de ses promesses, soit, au cas de mauvais vouloir ou d’impuissance, de prendre elles-mêmes en main la cause des chrétiens. Elles ont usé de ce droit conventionnel en 1860, en 1866, en 1875, en 1876, n’ont pas manqué de le faire maintenir en 1878 par le traité de Berlin, et l’ont encore exercé, dans les dernières années de ce siècle, à propos de l’insurrection crétoise. On ne peut pas faire abstraction, dans les questions internationales, d’une pratique continue. C’est se mouvoir dans le vide que de proscrire, d’une façon uniforme et radicale, comme l’ont fait Wolff[2] et M. de Laveleye[3], le droit d’intervention, et la parfaite raison ne commande pas d’ailleurs d’aller à cette extrémité. Sans oser soutenir avec le professeur Arntz[4] que l’intervention devient légitime, « lorsqu’un gouvernement, tout en agissant dans la limite de ses droits de souveraineté, viole les droits de l’humanité, soit par des mesures contraires à l’intérêt des autres États, soit par des excès d’injustice et de cruauté qui blessent profondément nos mœurs et notre civilisation, » je

  1. Oxford, 1880.
  2. Jus Gentium, chap. II, § 257.
  3. Des causes de guerre en Europe, p. 40.
  4. Revue de droit international, etc., t. VIII, 1876, p. 673.