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faiblesse relative des contingens qu’elle a pu prélever sur ses garnisons de Port-Arthur, de Vladivostok et de l’Amour pour les expédier dans le Petchili montre que ses forces en Extrême-Orient sont beaucoup moindres qu’on ne nous les représentait dans les informations des journaux jingos d’outre-Manche. Toute la politique russe, depuis le commencement de la crise jusqu’à l’optimisme constant qui régnait à la légation de Pékin, — on croit facilement ce qu’on souhaite, — indique qu’on a été fort ennuyé à Saint-Pétersbourg de cette explosion subite à laquelle on n’était pas préparé et qu’on désire moins que partout ailleurs y pousser les choses à l’extrême.

L’Angleterre, de son côté, traîne toujours le boulet de la guerre sud-africaine dans laquelle elle s’est jetée avec si peu de prévoyance. Le politicien qui l’y a entraînée a beau être acclamé par la majorité d’un peuple qu’on croyait plus réfléchi, on est bien forcé de s’apercevoir à Londres, sinon encore de la honte qu’une entreprise semblable inflige à l’Angleterre, du moins de l’impuissance à laquelle elle la réduit sur les autres points du globe, en Extrême-Orient en particulier. Au début de la crise, le cabinet de Saint-James espéra pourtant un moment pouvoir jouer un rôle dominant, non pas directement par ses propres ressources, mais par l’intermédiaire du Japon. Ce dernier pays, que l’esprit assimilateur et observateur de ses habitans paraît rendre particulièrement accessible aux leçons de l’expérience, se rend compte que ses victoires sur la Chine, en dévoilant au monde la faiblesse du colosse, ont profité au moins autant, sinon plus, à d’autres qu’à lui-même. Malgré les avances de la Grande-Bretagne, qui, au mois de juin, le pressait, sous couleur d’humanité, d’envoyer immédiatement une armée dans le Tchili, il a gardé avec beaucoup de sagesse une attitude expectante. Tout en expédiant en Chine des effectifs plus élevés que ceux d’aucun autre pays, ce qu’explique sa proximité infiniment plus grande du théâtre des opérations, il s’est appliqué à ne donner d’ombrage à personne, et particulièrement à ne pas mécontenter la Russie, ce qui a même pu faire croire que les cabinets de Tokio et de Saint-Pétersbourg, après s’être depuis plusieurs années surveillés l’un l’autre d’un œil si jaloux et si soupçonneux, étaient, par un changement soudain, arrivés à une entente. Cette attitude prudente du Japon n’a pas été vue sans dépit en Angleterre, où l’opinion comme le gouvernement ont