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Si petite, j’étais si pensive et si sage
Que je tins peu de place, et je fis peu de bruit ;
Je négligeais la joie et les jeux de mon âge
Et songeais à la mort lorsque venait la nuit.

Je n’étais pas encor femme quand je suis morte ;
C’est pourquoi mon tombeau, étroit comme mon lit,
N’enferme ni parfums, ni fards d’aucune sorte,
Ni mon premier miroir d’acier pâle et poli.

J’ai voulu, loin de l’ombre et des funèbres marbres,
Suspendre ce miroir dans les bois que j’aimais ;
Il s’y balance ainsi qu’un fruit clair dans les arbres
Bien haut, pour que nuls doigts ne l’y cueillent jamais,

Et qu’il puisse, parmi les bouleaux et les saules,
Voir l’astre féminin s’arrondir lentement,
Puisque entre mes cheveux flottant sur mes épaules
Mon miroir n’a pas vu croître mon sein charmant.


III


Je n’ai rien voulu des hommes
Oublieux et mensongers ;
Sous les raisins et les pommes
Je dors au fond des vergers.

Satyres ! gais petits faunes,
O vous ! qui veniez des bois
Dérober mes pêches jaunes,
Juteuses entre vos doigts ;

C’est à votre folle bande
Que je lègue mon tombeau ;
Vous y porterez l’offrande
Des grappes et du miel chaud ;

Le citron par qui s’éclaire
L’arbre sombre où luit son or,
La grenade funéraire,
Seul fruit que je goûte encor,