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Amour ! ô tendre amour ! d’une langueur égale
A celle du passé n’enivrez pas le jour,
Papillon violet que velouté un or pâle,
N’ouvrez plus votre vol, Amour ! ô triste Amour !

Fermez votre aile double, et d’un triple pétale
Violet parfumant mes cyprès et mes ifs,
Papillon de la nuit éternelle, et d’or pâle,
Palpitez au tombeau fleuri des cœurs pensifs.


I


Tu t’arrêtes devant la tombe parfumée
Où tout ce qui fut moi gît sous une herbe en fleur,
Et, lisant ces seuls mots, ô jeune voyageur :
— « Nulle femme ne fut plus longuement aimée, »
L’âpre et vivant désir gonfle et remplit ton cœur
Du rêve de ma chair, hélas ! inanimée.

Mon cher miroir, qui meurt de n’avoir reflété
Que l’ombre où j’ai voulu près de moi le suspendre,
Mon miroir revivrait, si tu pouvais le tendre
Au jour pur, et rirait de toute sa clarté ;
Mais tu n’y verrais pas ma grâce triste et tendre ;
Jamais tu ne sauras ce que fut ma beauté.

La cendre de mon corps qui consume la terre
En d’ardentes saisons me refleurit au jour ;
Cueille une de ces fleurs pour prix de ton détour,
Et passe,… car, berçant mon sommeil solitaire,
J’entends, dans le refrain que murmure l’Amour,
Le regret éternel de ma forme éphémère.


II


Sur ton sein ténébreux, enfant triste endormie,
O Terre ! je repose, et serre entre mes bras
La poupée aux yeux peints qui fut ma seule amie
Et qui sait mes secrets, qu’elle ne dira pas.