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les deux minorités religieuses dont le budget des cultes consacre l’existence. On leur coupe les vivres ou on les empêche de naître. Il est notoire que le Conseil d’Etat n’accorde la reconnaissance d’utilité publique à aucune œuvre catholique, et, si une œuvre absolument laïque et neutre par ses statuts et la composition de son comité directeur, sollicite cette reconnaissance, il faut qu’elle démontre qu’elle n’emploie des sœurs dans un de ses services que par économie et parce qu’elle n’a pas pu faire autrement.

Il en est de même pour celles qui sollicitent les subventions du pari mutuel. Quant aux sociétés qui ont été reconnues antérieurement d’utilité publique et auxquelles on n’ose pas retirer, par un acte exorbitant, la personnalité civile, le Conseil d’Etat fait ce qu’il peut pour que cette personnalité ne leur soit utile en rien, surtout lorsqu’il s’agit d’une communauté religieuse. Comme il est leur tuteur, il leur permet rarement d’acquérir un immeuble à titre onéreux, sous prétexte que ce serait accroître la mainmorte, cette fameuse mainmorte qui hante l’imagination de beaucoup de Français et, comme un fantôme aux doigts crochus, trouble le sommeil de leurs nuits. Quant au droit que la loi leur confère d’acquérir à titre gratuit, il est, en fait, absolument supprimé. Qu’un même testament contienne un legs en faveur d’une société laïque et d’une congrégation, le Conseil d’Etat autorisera la première à accepter et pas la seconde, foulant ainsi aux pieds, à la joie d’héritiers peu scrupuleux, ce qu’il y a de plus sacré au monde, la volonté des morts. En réalité, ce singulier tuteur ne veut que du mal à ses pupilles, et ce qu’il souhaite du fond du cœur, c’est de les voir mourir d’inanition.

Cette mort ne venant pas assez vite au gré de ceux qui nous régissent, il semble que, depuis quelques mois, leur dessein soit de la hâter en inaugurant une tactique nouvelle. Je n’ai point à parler ici de l’odieux projet de loi sur ou plutôt contre la liberté d’association dont le parlement est actuellement saisi et qui sera peut-être en pleine discussion quand paraîtront ces lignes. Cela m’entraînerait trop loin, mais ce n’est pas, au contraire, sortir de notre sujet que de dénoncer certain projet qui a été déposé sans bruit, on serait presque tenté de dire sournoisement, au mois de juin dernier, et qui, sous prétexte de surveiller les établissemens de bienfaisance privée, ne tend à rien moins qu’à leur rendre l’existence impossible. On peut, sans rien exagérer, dire que l’exposé des motifs de ce projet de loi sue la haine de la