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réellement comploté dès longtemps le massacre des étrangers, y compris le corps diplomatique ? C’est ce qu’il est difficile de savoir ; peut-être s’est-elle laissé entraîner plus loin qu’elle ne pensait d’abord, comme il arrive souvent en des temps troublés. Mais il paraît bien certain aujourd’hui qu’elle n’a fait aucune résistance aux violens ; qu’elle a, de son plein gré, acquiescé à toutes les mesures qu’ils proposaient. Les massacres ne se seraient point produits simultanément dans toute la Chine du Nord, avec la coopération des autorités, les attaques contre les étrangers n’auraient pas eu lieu en Mandchourie et jusque sur l’Amour en même temps que dans le Tchili, si la vieille souveraine n’y avait prêté la main.

Il faut reconnaître que l’Europe, après n’avoir su ni prévoir ni prévenir ces sinistres événemens, comprit nettement son devoir. Les rivalités internationales, si elles ne se turent pas tout à fait, ne se firent plus entendre qu’en sourdine. Les troupes affluèrent de toutes parts à l’embouchure du Peï-ho ; tandis que des contingens importans partaient de Russie, d’Europe, de France, d’Angleterre, d’Allemagne surtout, et même des Etats-Unis, les corps, moins nombreux, mais plus tôt arrivés, détachés des garnisons russes d’Extrême-Orient, de l’Indo-Chine française, des Indes britanniques, de l’armée américaine des Philippines, unis aux effectifs plus considérables et merveilleusement organisés envoyés par le Japon, parvenaient à eux seuls à se frayer un chemin jusqu’à la capitale à travers les hordes chinoises.

Le 14 août, Pékin était emporté et les légations délivrées. Nous n’avons pas à raconter ici les incidens du siège héroïque soutenu par les légations, ni ceux de la marche en avant de la petite armée occidentale, bien inférieure en nombre à l’ennemi qui lui barrait la route. Ces faits sont assez connus de tous, et tous ont payé aux Européens enfermés dans Pékin, comme à leurs sauveurs, sans distinction de nationalité, un juste tribut d’éloges auxquels nous nous associons. L’Europe est depuis trois mois maîtresse de la capitale chinoise, mais elle n’y a pas trouvé le gouvernement chinois, réfugié dans le Chan-si, puis dans le Chen-si, à plus de 200 lieues de là. Son premier objectif d’humanité rempli, elle a paru assez embarrassée de sa victoire. Jamais le mot historique ne s’est mieux appliqué : « Voilà qui est bien taillé, maintenant il faut recoudre. »