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trouve dans l’impossibilité physique de gagner sa vie. Ici, point de crainte d’encourager la paresse ou l’imprévoyance. Comme on l’a dit avec esprit, pas plus qu’on ne se fait orphelin, on ne se fait incurable par calcul. Ajoutons qu’étant donné ce que fait déjà la charité privée, et ce qu’elle ne cessera assurément de faire, la dépense n’est pas considérable et ne grossirait pas sensiblement celle de l’assistance médicale, avec laquelle elle devrait être confondue. Il y a donc là un pas à franchir et une réforme à réaliser.

Faut-il aller encore plus loin et étendre le principe de l’assistance obligatoire à une quatrième catégorie de misérables : celle des vieillards ? Ici, il faut le reconnaître, de très graves objections s’élèvent. Les deux plus fortes sont les suivantes. En principe, chacun doit penser et pourvoir à ses vieux jours. Encourager celui qui vit du travail de ses mains à dépenser sans compter tout ce qu’il gagne en lui garantissant que, quelle qu’ait été son imprévoyance, il est assuré de ne pas tomber dans un dénuement absolu n’est ni moral ni, dans son intérêt même, bien entendu. La vie de l’ouvrier est une lutte perpétuelle entre la prévoyance et la prodigalité, entre l’entraînement qui le pousse à dépenser son salaire au jour le jour et le raisonnement qui lui conseille de s’imposer certaines privations pour en mettre une portion de côté, entre la caisse d’épargne et le cabaret. Le mettre à l’abri des conséquences de son imprévoyance et assurer son sort, de quelque manière qu’il en ait usé, c’est venir en aide au cabaret et, par ce temps d’alcoolisme, créer un véritable péril social.

La seconde objection est celle-ci. Le père prend soin de ses enfans tant qu’ils sont jeunes. C’est aux enfans à prendre soin du père quand il est vieux. Il y a là une obligation morale, et même civile, que consacre le Code. Il ne convient pas que la collectivité se substitue à ceux qui doivent s’acquitter de cette obligation : c’est favoriser l’ingratitude et détruire les liens de famille. « Nous mettrons le vieux au work-house, » disent fréquemment (du moins on l’assure) les enfans de paysans ou d’ouvriers anglais. Il ne faudrait pas qu’en créant quelque chose d’analogue au work-house, on développât dans la population française, ouvrière ou rurale, des sentimens d’ingratitude que l’instabilité des foyers, l’émigration constante des champs aux villes et le relâchement des liens de famille, conséquence fatale de ces phénomènes économiques, ne tendent que trop à faire naître.