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On ne saurait mieux parler ; mais, si la charité publique est nécessairement sèche, sévère et froide, pourquoi, dira-t-on, prendre sa défense et ne pas la sacrifier à la bienfaisance privée ? À cause des défauts inséparables de la charité privée que M. le Directeur de l’Assistance et de l’Hygiène publiques a justement signalés, cependant en les exagérant. En effet, il n’est pas exact de dire qu’elle est incompétente, car ce qu’elle fait, elle le fait tout aussi bien, sinon mieux, que la charité publique ; mais ce qui est certain, c’est qu’elle est en effet capricieuse. Certaines misères l’émeuvent, d’autres la laissent indifférente. De plus, elle est intermittente ; à certaines époques, sous certaines impressions, elle est active et généreuse ; à certaines autres, son action et ses dons se ralentissent. Enfin, ses œuvres sont forcément réparties d’une façon irrégulière sur l’étendue du territoire. Elle peut très bien être abondante ici et insuffisante là, sans aucune corrélation avec les misères qui seraient à secourir. La misère, en effet, n’est ni capricieuse, ni intermittente, ni même, dans une certaine mesure, irrégulièrement répartie, car, avec plus ou moins d’intensité, elle sévit partout, et partout, il est indispensable de lui venir en aide. De là la nécessité d’une organisation permanente, uniforme, dont les secours, judicieusement distribués, soient partout également à la portée des misères prévues. Cette organisation administrative ne peut résulter que d’un service légal et public.

À cette organisation de secours publics, les partisans exclusifs de la charité privée font une objection qui peut paraître forte. « En promettant assistance à certaines misères, vous vous substituez, disent-ils, à la charité privée, et par-là vous la découragez. Vous lui donnez l’impression d’être une superfétation, et vous arriverez ainsi peu à peu à tarir la source des libéralités et des dévouemens. » En théorie, l’objection assurément a sa valeur. En fait, l’expérience a démontré qu’elle n’était pas fondée. Ne sortons pas de notre pays. Ne parlons pas de l’Angleterre, où, depuis le règne d’Elisabeth, les secours publics sont organisés d’une façon qui, sous certains rapports, a été à bon droit critiquée, et où il ne serait pas sérieux cependant de prétendre que la charité soit moins active et moins généreuse que dans les autres pays[1].

  1. A Londres en particulier, l’existence d’infirmeries annexées à chaque work-house n’empêche pas qu’il n’y ait de magnifiques hôpitaux, uniquement entretenus par des contributions volontaires.