jamais assez nombreux des charitables. La seule chose qu’on ait le droit de faire, c’est de demander à ces fraîches recrues de ne pas le prendre de trop haut avec leurs anciens, de ne pas prétendre, par exemple, que la solidarité serait à cent piques au-dessus de la charité parce que « la solidarité implique une dépendance réciproque des personnes inconciliable avec les principes du christianisme… où chaque être ne connaît que soi et Dieu. » Cette définition sommaire du christianisme a lieu de surpendre, car on croyait jusqu’à présent que, dans la doctrine chrétienne, l’amour du prochain tenait quelque place. Un tel langage ne sied guère aux disciples d’une doctrine qui n’a point encore fait ses preuves, et j’oserais les engager à plus de mesure.
A supposer que des gens aussi échauffés fussent d’humeur à écouter une question, je leur demanderais même si d’aventure ils ont été faire un tour à l’Exposition, dans la galerie consacrée aux œuvres de bienfaisance publique et privée, et s’ils ont pris la peine de compter sur leurs doigts combien il y a d’œuvres inspirées par l’esprit de charité, combien par l’esprit de solidarité. Le résultat de cette comparaison purement arithmétique, pour peu qu’ils aient eu la curiosité de s’y livrer, aurait dû leur inspirer quelque modestie. Je gage on tout cas qu’ils n’ont point égaré leurs pas jusqu’au pavillon des Missions, l’accès d’un bâtiment aussi clérical leur ayant sans doute paru compromettant. Là, ils auraient pu s’assurer par leurs yeux de tout ce que l’esprit de charité a tenté en faveur des peuples sauvages ou arriérés, de tout ce qu’il en a obtenu par la douceur et la persuasion avant qu’industriels et spéculateurs, marchant sur les brisées des missionnaires, ne s’avisassent de les exploiter. Que n’ont-ils daigné même descendre jusque dans les sous-sols. Là ils auraient vu, reproduites au naturel, des scènes qui n’auraient pas manqué de les émouvoir, entre autres celle d’un missionnaire prêt à subir la décollation en Chine, et celle d’une jeune sœur soignant des lépreux dans l’île de Mandalay. Quand la solidarité aura tracé dans le monde entier un sillon aussi profond, fait lever autant de germes, et suscité d’aussi passionnés dévouemens, elle pourra le disputer à la charité. Jusque-là, elle fera bien de baisser un peu le ton.