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imposée depuis sa retraite, en faisant auprès de la Presse les démarches nécessaires pour qu’elle rendît compte des délibérations d’un congrès présidé par lui. Peut-être à ce que les membres du Congrès, braves gens, beaucoup plus préoccupés de faire le bien que de faire parler d’eux, n’ont pas été chaque soir porter à quelque feuille amie le texte soigneusement préparé et revu de leurs improvisations. Peut-être à d’autres raisons que j’ignore. Mais, quoi qu’il en soit, ce silence est regrettable, car il n’y a guère de congrès où il ait été parlé en meilleurs termes de choses plus intéressantes, ni adopté des résolutions plus pratiques et plus sages.

Je n’ai pas l’intention d’entreprendre aujourd’hui un compte rendu de ce Congrès dont le moindre tort ne serait pas d’être un peu défraîchi. Mais, parmi les questions portées à son ordre du jour, il y en a une qui est d’hier, d’aujourd’hui et de demain, et qui, dans une civilisation comme la nôtre, en particulier dans un pays comme la France, s’impose tout à la fois comme une des plus intéressantes à étudier et une des plus difficiles à résoudre. Quelle place doit être faite, dans l’organisation sociale, à l’entreprise de soulager les misères humaines, et, dans cette entreprise même, quelle part doit être attribuée à l’assistance publique et quelle part laissée à la bienfaisance privée ? Voilà la question théorique. En fait, comment l’assistance publique et la bienfaisance privée s’acquittent-elles de la tâche que séparément chacune a assumée, et comment doivent être réglés leurs rapports ? Voilà la question pratique. Il ne paraîtra peut-être pas sans intérêt d’étudier l’une et l’autre.


I

Sur la doctrine, je serai bref. Bien petit est en effet le nombre de ceux qui contestent aujourd’hui sinon l’obligation, du moins la nécessité sociale de venir en aide à ceux qui souffrent. Peu s’en est fallu cependant, il y a quelques années, que, sous l’influence de l’engouement peut-être passager pour la doctrine de l’évolution et du transformisme qui s’est emparé de tous les esprits, et à force de répéter des mots devenus sacramentels : sélection naturelle, lutte pour la vie, cette opinion barbare ne finît par triompher, que l’écrasement des faibles était la condition du progrès, aussi bien pour l’espèce humaine que pour l’espèce animale, et que toute assistance prêtée aux faibles ne faisait que le retarder.