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la cause. J’en eus la certitude en constatant, un quart d’heure plus tard, et comme je m’étais mis dans un des coins de la salle à lire un journal, qu’il était parti du cercle sans me serrer la main. Lui aussi m’en voulait de quelque chose ? Mais de quoi ?…

Si peu d’importance que pût avoir une brouillerie avec les Montchal, mère et fils, cette question me poursuivit hier soir et ce matin, comme une assez irritante énigme. Ayant toujours vécu très indépendant, je ne me suis pas endurci contre ces mesquines difficultés de rapports, inhérentes à toutes les coteries. C’est pour m’y soustraire que je n’habite presque jamais Dôle. Dans l’espèce, j’appréhendais surtout que Mme de Montchal, qui connaît beaucoup Mme Muriel, ne me desservît auprès de celle-ci, et ne me rendît les visites aux Cystes moins aisées. Qui sait si cette subite froideur n’était pas due à quelque calomnie ? Et, surtout, comment René se trouvait-il prendre le même parti que sa mère à mon endroit ?… Attribuait-il par hasard à mon influence son peu de progrès dans ses desseins sur Éveline ? Ses desseins ? Mais les avait-il encore ?… Je discutais avec moi-même ces diverses hypothèses, vers les onze heures, en traversant, par un temps assez aigre, la chaussée qui coupe les marais salans, au trot d’une assez bonne jument de louage que j’ai trouvée ici. Comme je débouchais sur la route de la presqu’île de Giens, je vis un cavalier s’enfoncer dans le petit bois de pins maritimes qui sépare cette route du hameau de l’Accapte. Je reconnus le cheval rouan de Montchal. Nous avons fait ensemble, depuis que je suis à Hyères, assez de promenades pour qu’il fût naturel que je le rejoignisse. Ce m’était une trop bonne occasion de tirer au net mes impressions de la veille. Je poussai donc ma bête et je m’engageai sur l’étroite piste ménagée entre les arbres. Comme ma jument est plus vite que son cheval, et que d’ailleurs le bruit des sabots s’étouffait dans le sable, je l’eus bientôt rejoint. Je l’abordai comme à l’ordinaire, avec un amical reproche de ne pas m’avoir prévenu qu’il montait ce matin. Il me répondit sur le ton embarrassé d’un homme qui n’a aucun prétexte plausible pour changer d’attitude vis-à-vis d’un autre, et qui, cependant, dissimule à peine le ressentiment d’une véritable rancune. Presque tout de suite, il mit son cheval au petit galop, visiblement pour éviter la conversation. Ma bête prit le galop aussi, et nous débouchâmes ainsi sur le terrain du champ de courses. Au détour et dans le brusque passage de l’ombre du bois à ce vaste