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misère ! Je ne sais plus qui les a comparées, ces ressemblances entre deux êtres dont l’un nous a aimé et dont l’autre ne nous aime pas, à l’oiseau moqueur qui vole devant les chasseurs de branche en branche, en sifflant la chanson de l’oiseau que guettent ces chasseurs, et qui n’est pas lui. Une intense mélancolie s’empara de moi, qui aurait dû, en bonne logique, me décider à reprendre le train pour Nice et le petit salon où je savais que Mme Osinine me recevrait avec ses minauderies, qui me laissaient bien froid ; du moins, elles n’avaient rien de commun avec l’insaisissable bonheur, possédé quelques mois, regretté dix ans ! — Eh bien ! non. On dirait qu’il y a dans certaines souffrances un irrésistible attrait pour le cœur qui vieillit. Sa pire misère n’est pas de saigner. C’est d’être paralysé. La preuve en est qu’à peine rentré à Hyères, mon premier soin fut de consulter, non pas l’indicateur des chemins de fer, mais celui des hivernans, comme Jacques, l’autre jour ; et, aussitôt après le déjeuner, j’allais tout droit sonner à la porte de René de Montchal. Que lui demanderais-je ? Je n’en savais rien. Mais j’étais sûr, d’après ses propos de Nice, qu’il s’ennuyait ferme dans son tête-à-tête avec sa vieille mère. Il était donc immanquable qu’il m’accueillît trop bien, et qu’il m’offrît de me présenter dans les quelques maisons où il fréquentait et qu’il avait, pour la plus grande joie de Jacques, qualifiées si bourgeoisement de très agréables. Sans aucun doute celle de Mme Muriel était du nombre. Quant au prétexte de ma subite arrivée, il était tout trouvé. Je lui dirais ce que j’avais dit à Jacques, mon désir d’essayer d’un climat moins excitant que celui de Nice. Les choses se passèrent exactement comme je l’avais prévu. Au bout de cinq minutes, et après les inévitables exclamations d’étonnement, René m’avait déjà proposé de m’emmener en promenade à la plage, puis, au retour, d’aller prendre le thé chez les Vertaubanne :

— Ce sont les gens du pays qui reçoivent le plus, insista-t-il. Ils ont un hôtel assez curieux dans la basse ville et un trésor d’admirables meubles provençaux. À la Révolution, ils ont eu la chance de n’être pas pillés. Vous y verrez tout ce qu’on peut voir ici. Ça fait bien une quinzaine de familles en tout. Maman, qui n’est pas du tout nouveau jeu, prétend que c’est de la très bonne compagnie. Moi, j’aime mieux la mauvaise… Mais, quand on vient d’être échaudé ! Dites donc ? Vous ne me dénoncerez pas à de Brèves ? Il y aura peut-être la petite Duvernay, dont je vous ai