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LE FANTÔME.

douceur ? Car c’est à cause d’elle, uniquement d’elle, que j’ai voulu voir sa fille, et, dans cette fille, c’est elle que j’ai revue, avec quelle poignante surprise, dont je ne sais pas si elle m’a fait plus de mal ou plus de plaisir, si j’accepterai de la renouveler ou si je la fuirai pour toujours !… Mettons un peu d’ordre dans ces souvenirs, puisque j’ai repris ce journal une fois de plus, et que j’ai recommencé de me raconter mon cœur à moi-même. J’aurais plié sous le fardeau, à une époque, si je n’avais pas eu ce moyen de tromper l’horrible solitude, et cette époque est revenue. Sais-je pourquoi ? À cause de la saison sans doute et du récent anniversaire, à cause de ce cœur surtout qui ne veut pas, qui ne sait pas s’assagir et qui, maintenant, se plaît à se faire souffrir pour sentir. À vingt ans, j’avais du moins cette excuse, dans mes recherches folles de l’émotion, que je voulais vivre. J’ai vécu. Je voulais aimer et être aimé. J’ai aimé, j’ai été aimé. Quel spasme nouveau de ce cœur vieilli souhaitai-je donc d’éprouver ?… Mais je m’égare encore. Notons des faits.

Premier fait qui m’a décidé à quitter brusquement Nice : l’insupportable ennui que m’a soudain représenté mon début d’affaire avec Mme  Osinine, à cette date ! Rien que d’avoir causé avec Montchal à plusieurs reprises et de l’avoir amené, ce qui a été plus aisé que je ne croyais, à me parler d’Éveline Duvernay avait suffi à me rappeler de nouveau tout le passé avec trop de force, et cette aventure m’excédait par sa banalité, presque avant d’avoir commencé. — Second fait : ce que Montchal m’avait dit de lui-même au cours de ces diverses conversations, et certaine petite phrase qui traduisait chez lui le projet bien arrêté d’un beau mariage et très prochain. Ce moqueur de Jacques y avait vu juste, quand il qualifiait l’histoire avec Lucie de « lueur mourante de célibat. » Le dernier soir du séjour de Montchal à Nice, et comme j’entrais au cercle de la Méditerranée, je le trouvai qui en sortait la mine déconfite : — Je rentre à Hyères demain, me dit-il, ce voyage m’a coûté trop cher… — Vous venez de jouer ? lui demandai-je. — J’en suis pour cinq cents louis, rien que depuis le dîner, me répondit-il. — Et Lucie Tardif ? interrogeai-je. — C’est comme le jeu et comme Nice, répliqua-t-il dans son langage : — J’en ai soupé… Quand je pense, continua-t-il (je dois ajouter qu’il avait bu un ou deux cock-tails de trop pour oublier sa déveine au baccara), quand je pense qu’il ne dépendrait que de moi d’avoir