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Or, cette dynastie tartare, qui règne sur la Chine depuis 1644, elle est vieille, usée, ébranlée. Depuis la fin du siècle dernier, depuis la mort de l’empereur Kang-hi elle est en pleine décadence. Elle a dépassé l’âge de la plupart des dynasties chinoises, Au milieu du siècle, la formidable insurrection des Taïpings, faillit la renverser et installa même à Nankin un gouvernement rival ; elle ne dut son salut qu’au secours prêté par l’Europe ; depuis lors, une succession de minorités a fait tomber le pouvoir entre les mains des femmes et des eunuques. D’origine étrangère, sentant leur prestige affaibli, les Mandchous savent que toute concession faite à l’Occident sera exploitée contre eux par les sociétés secrètes, par leurs adversaires de tout acabit, nombreux même parmi les mandarins, et surtout parmi cette tourbe, fanatique et ignorante du monde extérieur, de lettrés sans place qui s’agite et s’aigrit dans toutes les villes. Ainsi les humiliations infligées par l’Europe compromettent jusqu’à la sécurité intérieure de la dynastie, qui se trouve prise entre ses propres sujets et les étrangers, n’évitant les dangers du dehors que pour tomber dans ceux du dedans. Ce n’est pas la première fois qu’une pareille situation se produit en Extrême-Orient : le Japon l’a connue, il y a quarante ans. Comme la dynastie des Tsing l’est aujourd’hui en Chine, le shogounat était miné par diverses causes intérieures : difficultés financières, épuisement de la famille régnante, hostilité plus ou moins dissimulée de la classe dirigeante des samouraïs ; lorsque à tout cela est venue s’ajouter la perte de prestige résultant des concessions arrachées par les étrangers, le régime s’est effondré. Malgré les profondes, les essentielles différences qui existent entre la Chine et le Japon et qu’on méconnaît trop souvent, malgré l’absence de classe militaire et de féodalité, la dynastie des Tsing pourrait bien tomber aussi, si elle faisait à l’Europe de trop importantes concessions. Qu’elle connaisse ou non l’histoire du shogounat, il est probable qu’elle en redoute le sort, et cette crainte vient encore augmenter ses résistances à l’Europe et la haine qu’elle porte aux étrangers.

Ce qui étonne pourtant, c’est que la Cour ait poussé l’aveuglement jusqu’à croire qu’elle pourrait résister au monde civilisé tout entier, si elle le provoquait collectivement. Les leçons du passé ne lui ont guère profité, ni la prise de Pékin par l’armée franco-anglaise en 1860, ni les victoires des Japonais en 1894 et 1895. Il faut donc l’avouer : tout en humiliant et en irritant la Chine