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impression, vous aussi. Vous devinerez peut-être. Enfin, vous irez ? Ne me répondez pas non !… Et vous ne lui ferez pas de reproches, promettez-le-moi ! Il y a certainement de ma faute. Si j’avais été moins maladroite, les choses auraient tourné autrement…

— J’irai, répondit d’Andiguier, avec une espèce de solennité, après avoir recommencé à marcher dans la pièce, comme tout à l’heure, quand il était seul, mais cette fois en proie à des réflexions dont Éveline Malclerc pouvait suivre le passage sur ce vieux visage, demeuré si expressif. Il répéta : J’irai, et je te promets de lui parler sans un reproche… Mais je te demande de bien te dire que tu me fais faire une démarche presque sans espoir… Si j’échoue, tu ne m’en voudras pas. Et je te demande aussi une autre promesse : quand j’aurai vu ton mari, il est possible que je te donne un conseil qui ne soit pas ce que tu désires. Promets-moi, non pas de le suivre, mais d’essayer de le suivre…

— Je vous le promets, fit-elle ; et, anxieusement : — Je comprends. Vous pensez qu’il faudra nous séparer ?…

— Pour quelque temps peut-être, fit d’Andiguier. Mais je n’en sais rien, et je n’en saurai rien avant d’avoir causé à fond avec Malclerc. Il faut maintenant que tu le prépares à ma visite. Quand crois-tu que je pourrai le voir ?

— Mais tout de suite, s’écria-t-elle. Vous le trouverez à la maison maintenant. Il doit m’attendre. Je suis sortie ce matin, en disant que j’allais à l’église. Je n’ai pas menti. J’ai passé à Sainte-Clotilde, là où ma pauvre maman s’est mariée… J’en avais tant besoin !.. Vous n’avez pas à cacher que je suis venue chez vous. Au contraire. Il n’y a pas à le préparer, voyez-vous. S’il ne s’ouvre pas à vous à présent, sous le coup des émotions de cette nuit, il ne s’ouvrira jamais… Vous voulez bien ? Vous allez prendre ma voiture, qui est en bas. Ah ! Vous me sauvez ! vous me sauvez !… Comme je vais prier pendant que vous serez parti !…

La naïve ardeur de sa dévotion la fit, quand le vieillard fut sur le pas de la porte, courir encore une fois vers lui, pour esquisser le signe de la croix sur son front et sur sa poitrine. Elle revint, une fois seule, s’agenouiller en effet devant le fauteuil où elle s’était assise, durant sa longue et cruelle confession. Certes les madones des vieux maîtres, qui ornaient le musée de Philippe d’Andiguier, avaient vu bien des ferventes oraisons monter vers elles, quand elles souriaient et songeaient dans la