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— Je ne l’interprète pas, répondit-elle, et c’est ce qui me désespère. Moi aussi, j’ai pensé, à notre retour, qu’il y avait là un trouble mental. Ce n’est pas vrai. On n’a pas l’esprit dérangé parce que l’on a un chagrin secret. Il a un chagrin secret. La vérité est là. Elle n’est pas ailleurs. Je me suis dit que peut-être il avait eu avant son mariage une liaison, qu’il avait rompu avec une maîtresse, qu’il redoutait une vengeance. J’ai cherché, autour de nous, dans notre société. Je n’ai rien trouvé. D’ailleurs, quand il est venu à Hyères, c’était presque aussitôt après son retour d’un grand voyage en Orient. L’année précédente, il était allé en Espagne et au Maroc. Une autre année, aux Indes. Cette existence errante ne s’accorde pas avec un attachement… J’ai cherché ailleurs. J’ai supposé qu’il avait un enfant et qu’il n’osait pas me l’avouer. Cela m’aurait fait bien du mal de l’apprendre ! Je l’aime tant, j’aurais aimé aussi l’enfant. J’ai eu le courage de lui dire une fois cette hypothèse, comme en riant. À la manière dont il m’a répondu, j’ai compris que ce n’était pas cela… Mais toutes les chimères qui m’ont traversé la tête n’importent pas. Ce qui importe, c’est que cette espèce de maladie de notre mariage, je ne trouve pas d’autres mots, n’a fait que s’exaspérer depuis ce retour. Il y a des momens, où il semble prendre en aversion, non pas moi seulement, non pas ma présence, mais jusqu’aux objets qui nous entourent, jusqu’à la maison que nous habitons. J’ai espéré, — et ici sa voix s’étouffa de nouveau, pour ce dernier aveu, — j’ai espéré que la perspective d’être père aurait raison des idées qui le hantent, quelles qu’elles soient. Il n’a jamais été plus troublé, plus inquiet, plus inégal que depuis ma grossesse. Et enfin, cet égarement de cette nuit !… Vous savez tout, maintenant… Elle ajouta : — Je n’ai pas cru que j’aurais l’énergie d’aller jusqu’au bout. C’est si dur pour une femme de parler de son ménage. C’est la fierté du foyer, voyez-vous, cela, que le mari et la femme ne fassent qu’un, qu’il n’y ait, après lui, rien pour elle, et, après elle, rien pour lui… Mais, si je n’avais pas parlé, c’est moi qui serais devenue folle. M’adresser à ma tante ? je ne pouvais pas. Vous la connaissez. Elle m’aurait fait du mal sans le vouloir. J’ai l’âme si meurtrie, si blessée !… Il n’y avait que vous, parce que vous, c’est encore un peu de maman…

— Que n’ai-je son intelligence des choses du cœur ! gémit d’Andiguier avec un accent de véritable désespoir. Je pourrais t’aider alors, te donner un conseil, au lieu que tu me vois boule-