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la mesure où nous l’aurions pu. Demander à un ennemi qu’on ne tient pas à sa discrétion plus qu’on n’a le moyen de lui imposer, est une duperie qu’on se prépare à soi-même. Et c’est là ce qu’on fait, croyant qu’il suffirait de procéder par intimidation, c’est-à-dire par un simple effet d’imagination, sur le peuple le plus réaliste peut-être qui soit au monde et sur un gouvernement qui ne l’est pas moins. De là sont sorties les difficultés actuelles. On peut les expliquer encore en disant que les puissances n’ont pas su fixer avec une netteté d’esprit et une fermeté de conduite suffisantes les principes de leur conduite. Deux politiques se présentaient à l’égard de la Chine, une politique de paix et une politique de guerre. On est passé, on a oscillé de l’une à l’autre, cédant un jour à tel conseil et le lendemain à tel autre ! Il en est résulté que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait pour ramener la paix, et que nous ne nous sommes nullement préparés à la guerre. C’est ce qui arrive généralement lorsqu’on suit à la fois deux politiques différentes : on les manque l’une et l’autre.

Nos critiques sont très générales, en ce sens qu’elles ne s’adressent spécialement à personne ; mais chacun pourra en prendre ce qui lui revient. S’il est une puissance qui y ait échappé plus que toute autre, c’est la Russie. Celle-là a su dès le premier moment ce qu’elle voulait ; elle l’a dit, elle s’y est tenue. Elle a pratiqué la politique de paix : aussi s’est-elle mise en quelque sorte en marge des autres puissances, attendant les événemens, et se préparant à en profiter en y dépensant le moindre effort. La nouvelle du jour est que les États-Unis semblent se détacher encore plus du concert des puissances. Eux aussi, ils veulent la paix, et ils ne jugent pas qu’on ait bien travaillé pour elle. Ce n’est pas que nous approuvions les procédés qu’ils recommandent, et qui, en vérité, sont un peu trop négatifs. Il est sage, après avoir mesuré ses forces, de ne rien demander au-delà de ce qu’elles permettent d’exiger ; et sans doute les États-Unis ont estimé que les leurs, engagées comme elles le sont sur d’autres points du monde, ne pouvaient qu’être assez faibles en Chine. Mais cela ne justifie pas le conseil qu’ils donnent aux autres de ne rien faire du tout, et d’attendre de la seule bonne volonté du gouvernement chinois les satisfactions qu’il voudra bien leur donner. Dans ce système, le caractère des négociations serait complètement renversé. On avait cru jusqu’ici que les puissances auraient à présenter leurs exigences à la Chine ; ce serait maintenant la Chine qui leur notifierait les concessions qu’elle consentirait à leur faire. La politique de modération doit garder sa place dans le concert des puissances, et les initiatives prises