Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/711

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Perraud, avocat de talent, très estimé dans la contrée, où il occupe une haute situation morale et joue le rôle de grand électeur. Le député qu’il a fait élire, ayant manqué à toutes les promesses de son programme vient de passer ministre. Sur ces entrefaites, le ministre félon offre une préfecture à Perraud. Une préfecture à Perraud ! Perraud l’incorruptible, Perraud l’irréductible répond par télégramme. — Il répond qu’il accepte.

Tout cela est très net, très vigoureux, et l’effet dramatique est heureusement ménagé. Nous nous tenons pour bien renseignés sur le caractère de Perraud. C’est un de ces indépendans comme on en voit beaucoup. Ils font de l’opposition au gouvernement pour le faire repentir de n’avoir pas songé à eux. Ce Perraud est un pantin. De voir manœuvrer les ficelles d’un pantin, c’est un spectacle qui n’est ni très rare, ni très instructif ; mais c’est toujours amusant. Va donc pour l’étude du pantin politique !

Seulement ce n’est pas cela. Ce n’est pas cela du tout. Nous nous apercevons très vite que, pour avoir suivi la voie où nous engageait l’auteur, nous nous sommes fourvoyés. Une phrase à laquelle nous n’avions pas prêté d’attention contenait le germe de la pièce que nous allons voir maintenant se développer. « Au fond, disait Perraud, je suis un autoritaire. » C’est pour avoir l’occasion d’exercer ses goûts d’autorité qu’il a accepté d’être quelque chose dans le gouvernement. Il sera l’un des préfets à poigne de la République. Mais le tempérament autoritaire, à mesure qu’il se satisfait, devient plus exigeant. Perraud se rend insupportable. Son fils le quitte après une violente discussion. Sa femme, témoin de la scène entre le père et le fils, tombe morte, foudroyée par l’émotion. Une grève, que Perraud, en exaspérant les ouvriers a fait dégénérer en émeute, a pour résultat la démission de ce préfet tour à tour violent et timide. Son gendre, qui est un habile, trouvera moyen de profiter de sa disgrâce. Tout le monde s’écarte de lui. Perraud n’a plus de femme, plus de fils, plus de fille ; il n’a plus de situation, il n’a plus de foyer. Perraud n’est plus préfet. Il n’est plus rien. C’est épouvantable.

Les objections se pressent en foule. Voilà un homme qui a des instincts de domination ; et, pour les satisfaire, il ne trouve rien de mieux que de s’installer dans une préfecture ! Il se trompe d’adresse. Jamais on n’a ouï dire que la situation de préfet fût une situation indépendante, puisque c’est exactement le contraire. Un préfet est un fonctionnaire. Il ne donne pas les ordres, il les reçoit. Il exécute les volontés d’autrui, et du jour où il a endossé l’habit galonné, il a fait vœu