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Ce n’est plus par son fils que le vieux Phérès s’entend reprocher son indignité : c’est par les gens du chœur. Évidemment cela rend la scène beaucoup plus convenable. Décence et solennité, telle est la note.

A l’Alceste française, il manque Alceste, Admète et Phérès ; il manque l’émotion et la satire. Il reste une pièce à spectacle, un drame tout extérieur écrit en vers agréables, faciles et négligés.

L’interprétation d’Alkestis est d’une médiocrité uniforme, sur laquelle tranche le jeu de M. Paul Mounet, chargé du rôle d’Hercule. Il a été la joie de la soirée. Entre les nombreux types d’Hercule que lui fournissaient l’art et la littérature, il a choisi avec décision le type de l’Hercule forain.

Après l’adaptation, le pastiche. C’est un genre froid. M. Georges d’Esparbès lui-même, avec sa bonne volonté éperdue, n’a pas réussi à le réchauffer. M. d’Esparbès est un spécialiste de la littérature héroïque. Il a longtemps célébré les exploits de l’époque napoléonienne en des contes empanachés d’un sublime tout méridional. Désormais il exalte l’héroïsme du XVIIIe siècle. Il faut tenir compte à M. d’Esparbès de ses intentions, qui sont excellentes. Dans la Guerre en dentelles, il a voulu évoquer un moment particulièrement brillant de notre vie française, et ressusciter les élégances de l’ancien régime. Le XVIIIe siècle nous offre un mélange savoureux de bravoure et de galanterie, de hardiesse guerrière et de légèreté spirituelle. Les gens de ce temps-là s’interrompaient de danser pour s’aller battre, et chargeaient l’ennemi sur un air de menuet. Un certain marquis de Pry a la tâche de personnifier toutes ces grâces. Il s’y travaille avec une conscience, un zèle, une candeur qui désarment. Pas un mot qui ne soit une gentillesse. Pas un geste qui n’ait été étudié avec le maître à danser. C’est trop. On a beau être de l’ancien régime, il y a des momens de détente et d’oubli. Le gentilhomme de M. d’Esparbès ne nous laisse jamais oublier qu’il est de l’ancien régime. C’est son tort. Si nous devinons que Mascarille est un faux marquis, c’est justement parce qu’il a trop l’air marquis. Et si nous nous apercevons que Boireau n’est pas un homme du monde, c’est parce qu’il renchérit sur la distinction. Pas un seul instant, le marquis de Pry ne nous fait songer à Richelieu.

Le rôle du marquis de Pry a trouvé un interprète extraordinaire : c’est M. de Max. On ne pousse pas plus loin la drôlerie involontaire. C’est le chef-d’œuvre de la caricature malgré soi. Il est impayable. Cela vaut le voyage.