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en 1891 : « Si les crimes et les outrages qui se commettent tous les jours dans les États du Sud pour des raisons de race avaient lieu dans un pays civilisé ou demi-civilisé de l’Europe, et si on leur faisait une publicité aussi grande que celle qui a été faite aux atrocités commises en Bulgarie il n’y a pas longtemps, l’opinion publique se soulèverait et demanderait une répression, même si une guerre était nécessaire. La situation des gens de couleur dans le Sud est une honte pour le nom de la civilisation anglo-saxonne. » C’est ce qu’oublient quelques-uns de ceux qui reprochent au nègre de ne pouvoir pas s’élever au-dessus d’un certain niveau intellectuel et moral. « Nos enfans sont aussi intelligens que les enfans blancs, disait un évêque de couleur, mais aussitôt qu’ils deviennent assez grands pour apprécier leur situation, pour comprendre qu’on les regarde comme une race inférieure et pour voir qu’ils ne peuvent pas espérer devenir autre chose que cuisiniers ou domestiques, ils perdent leur ambition et cessent de travailler. » Cet évêque avait sans doute raison. J’ai connu, en France même, des « gens de couleur » éminens ; et combien après tout la littérature américaine, en ce siècle, a-t-elle compté d’auteurs « blancs » qui valussent l’auteur des Trois Mousquetaires ou celui du Demi-Monde et de la Dame aux Camélias ? J’en pourrais nommer beaucoup d’autres. Mais que l’homme de couleur puisse devenir son égal, il semble que ce soit ce que l’on aura quelque peine à faire entendre à l’homme de race anglo-saxonne !

Je viens de parler de la générosité des « milliardaires » américains : c’est encore un point sur lequel on trouvera de curieux renseignemens dans le livre de M. Edmond de Nevers. Par exemple, il a très bien vu que, dans le respect dévotieux de la démocratie américaine pour les Astor et les Vanderbilt, les Rockefeller et les Carneggie, il y avait quelque chose d’autre et de plus que le culte idolâtrique et grossier de l’argent. « Fils de leurs œuvres, » en général, ces rois du pétrole ou du fer sont, à vrai dire, les héros, au plein sens du mot, et on serait tenté de dire« les grands hommes » d’une démocratie industrielle et pacifique. Ce qu’on admire en eux, c’est sans doute, — et comme chez nous d’ailleurs, hélas ! — l’énormité de leur fortune, mais c’est encore peut-être et surtout la manière dont ils l’ont faite. Ils sont les Christophe Colomb et les Vasco de Gama du fer ou du pétrole. Ils ont fait preuve de ces qualités d’endurance, d’énergie, de persévérance, d’intelligence aussi qui furent jadis, en d’autres