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n’eût été chez nous, en France, qu’un vulgaire « clérical ; » et ni M. Waldeck-Rousseau, ni M. Henri Brisson, grands ennemis de la mainmorte, n’eussent peut-être refusé ces 5 millions de francs, mais ils les eussent fait servir à développer chez les nègres des sentimens contraires à l’intention du donateur. Le même John Slater n’exprimait-il pas encore, un peu plus loin, dans la lettre par laquelle il annonçait son intention, cette idée vraiment extraordinaire que « l’instruction du nègre lui paraissait inséparable de son éducation ; » et que cette « éducation, qui devait avoir pour objet de l’éclairer sur ses devoirs envers Dieu et envers l’homme, ne pouvait lui être donnée qu’à la lumière des saintes Écritures ? » Et, avec cette simplicité de désintéressement qui caractérise les « milliardaires » américains quand ils font de ces dons magnifiques, il s’en remettait des moyens de réaliser ses intentions à un Conseil d’administration où je retrouve entre autres noms ceux de M. Rutherford B. Hayes, l’ancien Président, aujourd’hui mort, et de M. Daniel G. Gilman, le président actuel de l’Université Johns Hopkins, et l’homme qui peut-être a le plus fait pour l’organisation et le développement de l’instruction supérieure aux États-Unis. (Ceux qu’intéresse cet autre problème liront avec profit le livre qu’il a récemment fait paraître sous le titre d’University Problems.) Administrateur ou trustee du Slater Fund, M. D. G. Gilman ne s’est guère moins occupé de la question nègre ; et j’ai là sous les yeux, non seulement son Discours prononcé le 18 novembre 1896, pour « l’inauguration de l’École commerciale Armstrong-Slater, » mais la collection entière des publications faites aux frais du Slater Fund. J’en note particulièrement deux : l’une sur les Progrès de l’éducation des Nègres depuis 1860, de M. J. L. M. Curry, secrétaire du Slater Fund, et l’autre sur les Occupations des Nègres, de M. Henry Gannett. Il n’y en a pas de plus intéressantes, ni qui témoignent de plus nobles préoccupations.

Malheureusement, ces préoccupations ne semblent être encore que celles d’une élite, et le préjugé contre le nègre, dans les États du Sud au moins, subsiste dans toute sa force. Quel est donc celui de ces États dont la législature, tout dernièrement, cette année même, a voté un ensemble de mesures destinées à priver le nègre du droit de suffrage, que lui reconnaît la Constitution ? N’est-ce pas la Caroline du Sud ? Un écrivain anglais, M. Laird Crowes, cité par M. Edmond de Nevers, disait, il n’y a pas dix ans,