Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/688

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenir lui-même ; mais que Pullman meure, et qu’en mourant il déshérite ses enfans pour cause d’incapacité, voilà qui est également « démocratique ». N’avons-nous pas raison de dire que, si cette manière d’entendre la démocratie est l’œuvre de l’Irlandais d’Amérique, on n’en saurait imaginer de moins anglaise ou anglo-saxonne, et, — quelque apparente communauté que la communauté de langue maintienne entre l’Américain d’aujourd’hui et celui d’autrefois, — ne faut-il pas convenir qu’il y a de ce fait quelque chose de changé aux États-Unis ?

Ce ne serait pas, il est vrai, ce que les plus récens observateurs s’accordent pour appeler « l’uniformité de la vie américaine. » M. James Bryce fait observer, dans un chapitre spécial de son remarquable ouvrage : American Commonwealth, que toutes les villes américaines se ressemblent, et « qu’on trouve, dit-il, dans l’une à peu près absolument ce que l’on trouve dans l’autre. » Mais n’est-ce pas tout simplement qu’elles sont toutes assez récentes ? Qu’est-ce que deux cent cinquante ans dans la vie d’une ville ? Marseille a deux mille six cents ans ; Lyon et Paris en ont tantôt deux mille : il y a en Amérique des villes de 300 000 âmes, Buffalo, par exemple, qui ne sont pas encore vieilles d’un siècle ! Le temps seul, aux villes comme aux hommes, donne une physionomie. Il est encore vrai que toutes les villes américaines, autant du moins que la configuration des lieux l’a permis, sont disposées sur le même plan, en damier, et rien n’est plus commode pour empêcher l’étranger de s’y perdre, mais aussi rien n’est plus monotone, à moins que ce ne soit le mouvement lui-même de la rue. Quand j’en ai cherché la raison, j’ai cru la trouver dans ce fait qu’homme ou femme, personne en Amérique ne traverse la rue dans le costume de sa condition. Dans les rues d’Amérique, on ne voit point de blouse ni de tablier, de bourgeron ni de bonnet : tous les hommes y sont habillés en gentleman et toutes les femmes en dame. Les voitures y sont rares et chères, — je parle surtout de New York et de Philadelphie, — mais les cars s’y succèdent de minute en minute. Etant, par nature, ami des vieilles choses, et gêné par tant de tramways, je saluai avec joie une affreuse guimbarde qui fait, ou qui faisait alors, il y a trois ans, le service de la Cinquième Avenue ! J’avais tort ou j’avais raison : cela dépend du point de vue ! En tout cas, ce sont autant de manifestations de l’esprit utilitaire et démocratique. Une sourde pression de l’opinion, en élevant le prix des