Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est qu’une conséquence. « Tous les individus de race anglo-saxonne sont portés a regarder de travers les étrangers que le hasard leur fait rencontrer. C’est une habitude de notre sang… il nous est difficile de voir une figure inconnue, une forme qui ne nous est pas familière, sans sentir dans nos cœurs le désir de crier et de frapper. En présence d’un étranger, un gentleman revêt sa cuirasse de froid mépris, un homme du peuple cherche la pierre qu’il pourra lui lancer… » Ces paroles ne sont pas de nous, ni de M. Edmond de Nevers, mais d’un écrivain anglais, Hepworth Dixon, dont la Nouvelle Amérique et la Russie libre ont eu jadis leur heure de succès. Je les crois fort exagérées. L’Anglais n’est pas tant ennemi de l’étranger qu’ami très particulier de lui-même, et son orgueil est un orgueil de race. Littéralement, il est moins fier d’être Anglais que de l’être né. Si vous n’êtes Anglais, soyez digne de l’être, voilà ce que nous crie toute son attitude ; et ce n’est pas précisément du mépris, encore moins de la haine, qu’il a pour le foreigner, c’est de la pitié, souvent même bienveillante : je veux dire un sentiment analogue à celui qu’inspirent, à un homme de sport, des chevaux qui ne seraient pas de sang, ou des chiens qui ne seraient pas de race. Et il faut comprendre ce sentiment. Il faut même en admirer quelques-unes au moins des suites ! Osons le dire, — nous qui écrivons ces lignes, et qui, selon toute apparence, ne sortons ni de saint Louis, ni de Charlemagne, — c’est presque une vertu que de respecter en soi le sang dont on est descendu ; et c’en est vraiment, c’en est tout à fait une que d’agir conformément à ce respect. Nous touchons ici le fondement même de l’éducation de la volonté. Si l’histoire de l’Angleterre est en partie celle des victoires de la volonté de l’homme sur la nature, la cause n’en est pas ailleurs. J’en conviens donc sans difficulté : c’est une belle espèce d’hommes que l’Anglo-Saxon ; et j’accorde encore que, comme l’on dit, quand elle se compare, elle ait des raisons de se préférer. Mais, en revanche, on m’accordera sans difficulté, je l’espère, qu’il n’y a pas de sentiment plus aristocratique ; et comment, si le fait le plus éclatant de l’histoire de l’Amérique au XIXe siècle est le progrès continu de l’idée démocratique et son effort ininterrompu pour se réaliser dans les faits, comment expliquera-t-on que ceci soit sorti de cela ? cette démocratie de cette aristocratie ? et « l’âme américaine » de l’âme « anglo-saxonne ? » Le progrès de l’idée démocratique en Amérique est