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congénitales ? Autre côté de la question, dont je n’ai pas besoin de montrer ici l’importance. Je ne doute pas que sur tous ces points le livre de M. Edmond de Nevers ne projette une vive lumière, et c’est ce qui m’amène à en signaler un autre mérite : M. Edmond de Nevers a compris et admirablement montré que l’Amérique du Nord était, pour ainsi dire, un prodigieux laboratoire de sociologie comparée.

Cette jeune Amérique n’a peut-être sur la vieille Europe qu’une supériorité certaine, qui est précisément d’être jeune, et si tant est que ce soit une supériorité ! Ce n’en est certainement une qu’aux poètes et aux amoureux ; et les Américains ne sont, dit-on, ni amoureux ni poètes. Mais, quoi qu’il en soit, leur jeunesse leur vaut cet avantage que les questions, chez eux, ne sont point surchargées d’histoire, et qu’en sociologie particulièrement, elles se posent à l’état neuf. Tel est le cas de la question de race. Indéchiffrable dans l’histoire de la vieille Europe, si jamais elle s’éclaire d’un rayon de lumière, ce rayon viendra d’Amérique. En d’autres termes, nous ne saurons jamais avec certitude, comment, d’un mélange ou d’une contrariété d’aptitudes celtiques, latines et germaines, — pour n’en retenir ici que les principaux élémens, — s’est autrefois formée « l’âme française ; » mais, pour concourir à la formation de « l’âme américaine, » nous savons, à quelques milliers d’âmes près, combien l’Angleterre a en quelque sorte délégué d’Anglais au-delà des mers, et l’Irlande de Celtes, et l’Allemagne de Germains. Si quelques Américains le voulaient, nous pourrions joindre, à ces renseignemens d’un caractère un peu général, des renseignemens d’ordre plus précis, et il suffirait pour cela d’un livre où l’histoire de quelques familles nous serait loyalement contée. C’est Eugène Sue, je crois, qui a écrit l’Histoire d’une famille française à travers les âges. Qu’y aurait-il de plus simple que de nous donner l’histoire de quelques familles américaines depuis deux cents ans ? Ce livre nous serait plus utile que celui qu’un M. Ch. H. Browning a publié, voilà dix ans, sous le titre suivant : Americans of royal descent ; Familles whose lineage is traced to the legitimate issue of Kings. Les dites familles étaient alors au nombre de 3 300 : cela fait environ 10 ou 12 000 Américains « de race royale. » Il y en a peut-être qui sont « crieurs de saulce verte ! » Et, sans doute, à quelques conclusions que l’on puisse arriver sur les effets du mélange ou de la lutte des races en Amérique, on se gardera de les appliquer telles