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passant, que, si l’intérêt en est considérable pour eux, à peine, en vérité, l’est-il moins pour la France ? On entend bien, — puisque, dans le temps où nous sommes, il faut prendre de ces précautions oratoires, — qu’il ne s’agit point du tout de nous bercer de sottes espérances ; d’en appeler, nous, Français de France, après cent cinquante ans, du traité de Paris, ce qui serait ridicule ; ou de travailler, même si nous le pouvions, à détacher le Canada de l’Angleterre, ce qui ne serait pas moins insensé que déloyal. On ne refait pas l’histoire ! Mais, s’il y a, dans ce continent nord-américain, trente-cinq ou quarante fois plus grand que la France, un centre de culture française et catholique, il importe évidemment à notre avenir, même européen, d’en favoriser le développement. « Avant que les enfans de la génération actuelle soient devenus des vieillards, — écrivait un haut fonctionnaire anglais, sir Lepel Henry Griffin, en 1884, — il ne restera plus que trois grandes puissances dans le monde civilisé : l’Empire britannique, la Russie et les États-Unis. » C’est ce que l’on verra bien ! Mais, en attendant, il n’y a rien de plus légitime, pour nous Français, que de faire obstacle, ouvertement, pacifiquement, mais résolument, à ces ambitions démesurées de l’impérialisme anglo-saxon, et, quand nous en avons un moyen aussi simple que d’entretenir, là où ils existent déjà, des centres de culture française et catholique, nous serions de grands maladroits si nous feignions de ne pas les voir, ou, les voyant, de les négliger. Il faut savoir gré à M. Edmond de Nevers d’avoir pour la première fois, si je ne me trompe, posé la question en ces termes précis. Nous avons un intérêt majeur, nous aussi, en France, à sonder ce que l’ « âme américaine » contient, selon l’expression de M. de Nevers, « de promesses ou de menaces pour l’avenir de notre race et de notre foi. » Les Canadiens français y en ont un plus immédiat encore ; et c’est pourquoi l’intention seule du livre de M. Edmond de Nevers suffirait à nous en conseiller la lecture.

On dit couramment d’une question bien posée qu’elle est à moitié résolue ; et il n’y a rien de plus faux ! Beaucoup de questions très bien posées ne recevront jamais de solution. Mais ce qui est vrai, c’est qu’en posant les questions d’une manière nouvelle, on s’avise presque nécessairement d’une manière nouvelle de les traiter ; et c’est ce qui est arrivé à M. Edmond de Nevers. Je voudrais qu’il l’eût, non pas certes mieux vu, mais mieux montré lui-même. Le dessin de son livre, en effet, a plutôt l’air un