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leurs services, ils écartent absolument leur direction. Ils ne veulent pas recevoir leurs conseils, parce qu’ils entendent leur donner des ordres[1]. De même que les syndicats anglais, que les syndicats allemands, auxquels Bebel lui-même prêche la neutralité politique et religieuse, les syndicats français sentent que pour la lutte économique ils ont besoin de fortes organisations, et ils ne les obtiendront qu’à condition d’écarter la politique, ferment de discorde, de leurs organisations. Cet esprit d’indépendance et d’autonomie s’est manifesté avec éclat au dernier Congrès de la Fédération des Bourses, qui s’est tenu à Paris, du 5 au 8 septembre. M. Jaurès adressait un pressant appel à la Fédération des Bourses, il l’invitait solennellement au congrès politique ; il s’agissait non de subordonner, mais de coordonner l’action économique à l’action politique. Le Congrès des Bourses a rejeté dédaigneusement cette coordination sollicitée. Non seulement les Bourses ont refusé de participer aux congrès national et international, mais à l’unanimité la Fédération a refusé d’adhérer à une école politique quelconque.

Des syndicats isolés, il est vrai, et des coopératives avaient envoyé un plus grand nombre de mandats au congrès politique de 1900 qu’à celui de 1899, où l’abstention avait été presque complète ; mais il ne faudrait pas se laisser éblouir par les chiffres, destinés à jeter quelque poudre aux yeux. Sur les deux cents syndicats qui s’étaient fait représenter au Congrès, le Syndicat des Omnibus comptait, nous dit-on, à lui seul, pour quarante six organisations, et formait autant de groupes mandatés que de dépôts. Ce syndicat s’était multiplié par un phénomène de scissiparité.

Même parmi ces élémens ouvriers attirés au Congrès politique, nous avons vu surgir une opposition parfois très vive et très hostile contre M. Jaurès, contre M. Millerand, contre M. Viviani. Toute cette jeunesse dorée qui entourait M. Jaurès faisait très mauvais effet. De même les républicains bourgeois sous Louis-Philippe se proclamaient socialistes. Les classes ouvrières, si souvent leurrées, se défient.

Ce sont surtout les délégués des régions travaillées par les grèves, et où le gouvernement est intervenu pour maintenir l’ordre, qui ont témoigné d’une extrême animosité poussée

  1. Voyez, dans la Science sociale d’octobre et novembre 1900, l’étude de M. G. Sorel sur les Grèves, p. 425