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V. — LA QUERELLE DES SOCIALISTES FRANÇAIS

Les socialistes français, après avoir troublé les débuts du Congrès international par des incidens violens, avaient décidé de conclure une Trêve de Dieu, d’ajourner leurs petites querelles, comme le disait M. Delory, le maire de Lille, à l’assemblée nationale qui devait s’ouvrir aussitôt que les étrangers seraient partis.

Le sujet de cette petite querelle est très simple et très limpide, mais il faut remonter à quelques années pour en saisir l’origine. Il y a trois générations ou plutôt trois écoles distinctes dans le socialisme français. La plus ancienne remonte à la Commune et au blanquisme, dont M. Vaillant a conservé la tradition. La seconde, avec MM. Guesde et Lafargue, date de 1879, de l’introduction du marxisme allemand dans le socialisme français. La troisième ne va pas au-delà de 1893, du moment où le parti socialiste, qui avait vécu jusqu’alors en marge de la vie parlementaire, réussit à former avec M. Millerand, M. Jaurès et leurs amis un parti politique au sein du Parlement. Ces derniers, dits indépendans, n’appartenaient à aucune organisation, ne relevaient que de leurs électeurs : affranchis des sectes gênantes et des programmes compliqués, ils se rangeaient sous la vague enseigne du formulaire de Saint-Mandé, aspiraient à unifier le parti socialiste, à substituer aux diverses organisations sectaires une vaste agence électorale, ayant pour base les comités électoraux fédérés dans tout le pays, recrutant le plus grand nombre d’électeurs, grâce à une extrême souplesse de propagande et de programmes adaptés à chaque région. Dans une réunion du Tivoli Vaux-Hall tenue en juin 1898, au lendemain des élections législatives, M. Jaurès faisait acclamer par anticipation l’union et l’unité du parti socialiste, en passant par-dessus la tête de M. Vaillant et de M. Guesde, dont il se proposait de licencier les troupes, et de rendre le commandement dictatorial désormais sans objet. Ceux-ci ne lui ont pas pardonné.

L’entrée de M. Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau, conséquence de l’affaire Dreyfus, fut l’occasion et le prétexte de la déclaration d’hostilités aux Indépendans. La campagne dreyfusienne de M. Jaurès était sévèrement blâmée par M. Guesde et M. Vaillant. Le Congrès de Paris, en 1899, unifia de nouveau