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III. — LA QUESTION POLITIQUE ET MINISTÉRIELLE

Tant que les partis socialistes ont vécu en marge de la vie parlementaire, à l’état de sectes fermées, ils pouvaient conserver à peu près intacte la rigidité de leur doctrine ; mais le jour où, grâce au suffrage élargi ou universalisé, ils commencèrent à pénétrer dans les corps élus et cherchèrent à attirer à eux des couches toujours plus larges de la masse électorale, ils durent faire passer cette préoccupation au premier plan.

Selon la doctrine primitive, le mot d’ordre darwinien de lutte de classes, donné par Karl Marx au socialisme international, signifiait que la société actuelle, par suite des développemens de la grande industrie, est formée pour ainsi dire de deux blocs voués à un antagonisme irréductible : la bourgeoisie possédante et le prolétariat dépendant. Mais cette bourgeoisie même est divisée en différens partis qui luttent pour la domination, pour la satisfaction d’intérêts divergens. En se coalisant tantôt avec l’un des partis en conflit, tantôt avec l’autre, les socialistes peuvent y trouver un accroissement de force et d’influence. C’est ainsi qu’en Angleterre les socialistes font généralement cause commune, dans les élections locales ou générales, avec les libéraux : il en est de même en Allemagne. En Bavière, sous la direction de M. de Vollmar, les socialistes ont mené une campagne, aux élections du Landtag, avec les cléricaux ; les uns et les autres poursuivent le même but, l’établissement du suffrage universel. En France, radicaux et socialistes ont conclu des traités électoraux au second tour de scrutin, ou se sont entendus dans une administration commune des municipalités qu’ils avaient conquises. On vit même à Bordeaux la secte des guesdistes, qui passe pour la plus rigoureuse en matière de programme, former un pacte célèbre avec les royalistes afin de chasser les opportunistes de la municipalité bordelaise et administrer la ville en leurs lieu et place. L’entrée de M. Millerand dans le ministère de M. Waldeck-Rousseau, aux côtés de M. le général de Galliffet, marque la dernière étape de cette politique de compromis et d’expédiens, et a causé une émotion considérable dans le monde socialiste, tant en France qu’à l’étranger.

En Allemagne, les alliances électorales soulevèrent d’abord de nombreuses protestations de la part des orthodoxes, des