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Liebknecht et des Allemands, le Congrès de Londres imposa, même aux organisations purement corporatives, la reconnaissance formelle et catégorique de l’action parlementaire, comme un des moyens nécessaires pour arriver au collectivisme : en conséquence, les anarchistes furent excommuniés, bannis à tout jamais. Aux yeux des social-démocrates, cette décision a l’importance du Concile de Constance, qui mit fin au grand schisme d’Occident et intronisa un seul pape au lieu de deux. L’Eglise de Marx est seule reconnue, celle de Bakounine et de ses successeurs est rejetée comme entachée d’hérésie. Pour le Congrès de Paris, des précautions minutieuses avaient été prises, afin de faire respecter la décrétale de Londres. Une conférence préliminaire s’était réunie à Bruxelles. On exige de tous les délégués, de tous les syndicats, qu’ils reconnaissent la nécessité de l’action législative et parlementaire, sans qu’ils soient obligés d’y prendre part.

Les anarchistes, de leur côté, avaient organisé un Congrès ouvrier révolutionnaire international[1] qui devait se tenir à Paris du 19 au 22 septembre à la veille du Congrès socialiste, mais ils comptaient sans le ministère. M, Waldeck-Rousseau a mis le pouvoir exécutif au service des social-démocrates, et interdit la réunion anarchiste, sans que la moindre protestation se soit élevée, du moins parmi les socialistes étrangers, contre cette

  1. Un journal anarchiste, les Temps nouveaux, a publié les rapports qui devaient être lus au Congrès. Ils permettent de se rendre compte de l’état actuel de l’esprit anarchiste. N° 23, 24, 25, 26, 27 et 28 des Temps nouveaux, 140, rue Mouffetard.
    Les anarchistes diffèrent des socialistes tout d’abord par leur conception de l’évolution économique. Le prince Kropotkine prétend établir, à l’encontre de Marx, que la petite industrie suit pas à pas le développement de la grande industrie, au lieu d’être absorbée par elle.
    A la centralisation économique, au capitalisme d’État, ils opposent le fédéralisme, l’autonomie syndicale et communale, comme forme de la société de l’avenir.
    En matière d’éducation et d’organisation, ils préconisent la culture, la réflexion individuelles, l’association libre, — contre l’enrégimentement sous une formule.
    Leur tactique, c’est la révolution par les grèves. Les partisans des attentats individuels sont le petit nombre. L’action légale est un leurre, une manœuvre des politiciens socialistes pour endormir le peuple, et s’emparer du pouvoir.
    En France, anarchistes et socialistes ne sont pas aussi différenciés qu’en Allemagne. Il y a des élémens semi-anarchistes dans le parti socialiste.
    Les socialistes autoritaires se proclament d’ailleurs aussi partisans île la liberté que les anarchistes. L’autorité nécessaire, mais transitoire, ne servira d’après eux qu’à discipliner l’homme à la solidarité. Une fois cette solidarité passée dans les mœurs, toute contrainte deviendra superflue, et nous entrerons dans l’âge d’or.