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prolétariat et de paupérisme. Est un prolétaire quiconque se trouve dans une situation dépendante, et vit uniquement de son travail manuel ou intellectuel plus ou moins fructueux, qu’il soit terrassier, mécanicien, ingénieur, avocat, médecin ou lettré, sans autre patrimoine ni héritage. Si c’était là une condition absolue d’admission à un congrès socialiste, comme la logique l’exigerait, le socialisme international serait décapité, privé de ses membres les plus éminens. Mais M. Jaurès a découvert jadis une formule ingénieuse qui concilie tout : est considéré comme prolétaire quiconque « a rompu avec la conception bourgeoise de la propriété. » Rompre avec une conception, bourgeoise ou autre, est toujours facile ; la difficulté, c’est de rompre avec la pratique de propriétaire et de renoncer à son bien. Le cas est rare, l’effort difficile. Aussi vaut-il mieux s’en tenir au socialisme aisé.

Les précédens congrès internationaux, à Bruxelles, à Zurich, surtout à Londres, avaient été troublés par la présence de fâcheux compagnons, les anarchistes révolutionnaires. On confond quelquefois les anarchistes et les socialistes. Mais, en Allemagne notamment, les social-démocrates considèrent que l’anarchisme est un ennemi aussi dangereux que le capitalisme même, et qu’ils ont mission de détruire ces deux monstres.

En présence de l’Etat moderne, défendu par sa police et protégé par son armée, les révoltes individuelles ou populaires, les attentats et les émeutes ne peuvent avoir d’autre effet que de déchaîner la réaction. Ce sont les tentatives insensées de Hœdel et de Nobiling contre Guillaume Ier qui permirent à Bismarck d’obtenir sa loi contre les socialistes. Toute tentative prématurée ne fait donc que retarder la Révolution. Il n’y a qu’une arme légitime, le bulletin de vote, que les anarchistes réprouvent et dans lequel ils ne voient qu’une duperie. Aussi les socialistes ont-ils chassé les anarchistes de leurs rangs, et ils ont fini par les exclure des Congrès internationaux. Expulsés à Zurich en 1898, ils étaient revenus à Londres en 1896, pourvus de nombreux mandats dans la section française où, unis aux syndicaux purs, ils formaient la majorité. Ils tirent perdre trois jours au Congrès sur la question de leur admission. De leur propre aveu, ils n’étaient là que pour obliger les social-démocrates à confesser solennellement ce qu’ils étaient en réalité, non pas des révolutionnaires, mais de purs politiciens. Grâce à l’influence de