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Florence, sa patrie, le récitatif pourvoit à notre plaisir, à notre émotion, avec une sagesse que notre moderne prodigalité ne surpasse point. Le récitatif est libre. Hardi comme une improvisation, il va, vient, s’arrête ou se précipite. Ni la rigueur de la mesure, ni la carrure de la mélodie ne le contraint ; ni « le torrent de la symphonie » ne l’entraîne. Le récitatif opère un échange merveilleux entre le mot et le son, entre l’intelligence et la sensibilité. La parole éclaire la musique et, par la musique, la parole est attendrie ou fortifiée. C’est dans l’œuvre de Gluck que cet échange, ou plutôt ce partage fécond s’est consommé. Le verbe, après Gluck, pourra connaître des retours de faveur et de gloire, mais seulement des retours. Quelquefois sublime chez Mozart, le récitatif ne sera pourtant pas l’un des élémens essentiels de son génie. Beethoven écrira Fidelio sans récitatifs. Il y aura de tout, même du récitatif, dans le « grand opéra français, » je veux dire celui de l’Italien Rossini et de Meyerbeer l’Allemand. Certains récitatifs de Guillaume Tell sont deux fois immortels : par la beauté de la musique et par l’ineptie des paroles. Plus tard le Berlioz des Troyens, le Gounod de Sapho et d’Ulysse retrouveront l’accent de la déclamation classique. Si Wagner, enfin, sacrifie trop souvent la parole, c’est du moins, — nous le montrerons un jour, — avec l’intention et l’illusion de la glorifier. Jusque dans le drame symphonique wagnérien, quelque chose de l’idéal, ou du genre, ou du système du récitatif subsiste. Mais, encore une fois, ce ne sont là que des retours, des reflets ou des échos. Entre les Florentins et Gluck l’évolution du genre que nous venons d’étudier s’est accomplie. L’opéra récitatif est mort et les temps sont passés où « le verbe était dieu. »


CAMILLE BELLAIGUE.