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jeta un commandement bref, l’incendie s’étendait, crevassant les toits. Les uhlans rassemblés s’éloignèrent, dans un lourd piétinement de bottes, les poches gonflées, les mains pleines. Au village, on avait brûlé l’école. De la salle de la mairie, le capitaine avait assisté, en fumant un cigare, aux dégâts méthodiques. Portes et volets fracassés, les humbles maisons montraient leur sol de terre battue, jonché de débris. Enfin l’escadron remontait à cheval. Pacaut et M. Bompin eurent beau se démener, il leur fallut suivre, entre deux pelotons, dans la charrette chargée de la caisse aux fusils ; ils en seraient sans doute quittes pour de la prison. Massart, en prix de ses bons offices, restait libre, faisant fonction de maire. Au pas, le capitaine s’en allait, cambrant sa taille mince, menaçant d’un dernier regard, en tête des uhlans et des cuirassiers tout réjouis de la bonne journée ; les paysans rentraient, farouches, dans leurs taudis. Un silence d’hébétement planait dans l’air assombri de fumée. Quand une voisine pénétra chez Fayet, inquiète de ne pas voir Céline, elle trouva l’enfant jetée sur un lit en désordre, comme après une lutte. Les jupes relevées, la tête dans ses mains, elle gémissait d’une plainte continue, basse comme un râle…

Le lendemain, Marie reçut une lettre au timbre de Laval, décachetée. Elle était de M. de Joffroy, l’appelait auprès d’Eugène blessé. Qu’elle ne s’inquiétât pas trop ; l’éclat d’obus qui avait atteint son mari ne mettait pas sa vie en danger ; mais, si c’était possible, qu’elle vînt ; il la demandait. Alors, aussitôt après l’enterrement de Jean Réal, comme une folle, seule, sans bagages, gagnant Tours en voiture, elle partit, oiseau frêle tournoyant dans la rafale, à travers les provinces bouleversées. Ses pressentimens, la vision… Qu’allait-elle trouver ?

Paul et Victor Margueritte.

(La dernière partie au prochain numéro.)