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en rendrait témoignage. Est-il besoin de rappeler l’effet, soit d’une note unique : celle dont les trombones appuient le refus des foules infernales ; soit d’une symphonie : celle qui se déroule, comme les divins gazons mêmes, devant les pas du pèlerin d’amour ? Et le progrès d’ensemble se reconnaît à ceci : Orphée, le premier chef-d’œuvre de Gluck, est aussi le premier, je veux dire le plus ancien chef-d’œuvre musical qu’on représente et qu’on puisse représenter aujourd’hui. Nous ne supporterions sans doute pas un opéra tout entier de Lully. Quant à l’Euridice de Péri ou de Caccini, la reconstitution n’en offrirait guère plus qu’un intérêt archéologique. Mais Orphée, d’un bout à l’autre, se tient et nous tient. De même que le Cid inaugure notre tragédie, il inaugure notre drame lyrique. A cent ou cent cinquante ans de distance, — c’est le retard accoutumé de la musique, — Orphée est le Cid des opéras.

Dans les ouvrages de Gluck, le récitatif a cessé d’occuper la place exclusive d’abord, puis prépondérante, qu’il a tenue tour à tour dans le drame lyrique de Florence et dans l’opéra de Lully. Il est devenu plus rare, mais il est devenu plus beau, d’une beauté qui ne sera pas surpassée ou seulement atteinte. L’opéra de Gluck est le plus glorieux hommage que la musique ait jamais rendu à la poésie, ou du moins à la parole. De même que toutes les grandes réformes musicales, depuis celle même de Palestrina jusqu’à celle de Wagner, c’est en faveur et comme au nom de la parole que la réforme de Gluck s’est accomplie. Beaucoup plus italienne qu’on ne le croit et qu’on ne le dit, elle a consisté dans la restauration de l’idéal florentin, de cet idéal déjà presque deux fois séculaire, et que l’Italie, qui commença par le créer, avait fini par corrompre. On sait où Gluck en a posé ou rétabli les principes. D’abord dans la dédicace de son Alceste au grand-duc de Toscane, au souverain de cette même Florence où jadis l’opéra purement récitatif était né. « Je songeai à réduire la musique à sa véritable fonction, qui est de seconder la poésie… et je crus que la musique devait être à la poésie comme à un dessin correct et bien disposé la vivacité des couleurs et le contraste bien ménagé des lumières et des ombres, qui servent à animer les figures sans en altérer les contours. »

Plus honorable pour la musique que le rapport de la coiffure au visage, ce nouveau rapport n’en subordonne pas moins encore la musique à la poésie. Et le musicien lui-même ne perd pas