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Voilà peut-être un exemple, assez rare dans un style généralement plus noble, de ces expressions « fort naturelles » qui plaisaient à Perrault. La musique, en tout cas, s’en est ici très bien accommodée et, par un effet de rythme analogue à celui que nous venons de citer, elle a su relever encore l’agrément, plutôt familier, de ce dialogue. D’autres mots, de la jeune fille toujours, au vieux roi : « Avec moi ! Vous, Seigneur ! — Je dois vous respecter, Seigneur ? Je vous révère ! » sont notés avec une finesse, une ironie exquise. On ne sait, tant la fusion des deux élémens est parfaite, où finit le pouvoir de la parole, où celui de la musique commence.

La vérité de la déclamation n’est pas inférieure dans les scènes tragiques. Elle éclate à chaque page d’Armide, le chef-d’œuvre peut-être de Lully ; en quelques pages même de ce Thésée, qui ne prête pas toujours à rire. Dans une galerie des grandes amoureuses lyriques, et des grandes délaissées, il faudrait faire une place, et non la moindre, à la Médée de Lully, superbe de haine et superbe d’amour. Le genre récitatif n’a rien produit de plus beau que l’apostrophe de Médée à sa jeune rivale :


Princesse, savez-vous ce que peut ma colère,
Quand on l’oblige d’éclater ?


et le dialogue suivant, et surtout l’admirable monologue de la reine, livrée en proie, en victime involontaire et, malgré ses crimes, presque innocente, à toutes les passions, à toutes les fureurs. Il y a là quelque chose d’inférieur sans doute, mais pourtant d’analogue aux scènes de Phèdre avec Œnone ; quelque chose où paraît, comme dans un rude et vigoureux raccourci, toute la force que la musique peut donner au mot, ou qu’elle en peut extraire.

Mais, si la musique alors n’eut pas d’autre, ou du moins pas de plus grande ambition que de servir la parole et de l’exalter, d’où vient donc le malentendu qui la fit mépriser de ceux-là justement qui furent, alors aussi, les maîtres de la parole : je veux dire les grands poètes et les grands écrivains ?

Il est superflu de rappeler comment l’auteur des Satires a traité Quinault et Lully. Dans la préface de son Andromède (1650), si Corneille épargne le musicien d’Assoucy, son collaborateur, il montre assez l’état qu’il fait de la musique elle-même :