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luth[1]. » La polyphonie des voix est aussi rare, aussi faible que celle des instrumens. Ni duo, ni trio ; çà et là, seulement, quelques mesures de chœur. Entre les deux siècles qui l’encadrent : celui de Palestrina et celui de Bach, le siècle — ou du moins le temps — de l’opéra florentin fait un vide et comme un trou dans l’histoire de l’harmonie. Quant à la mélodie, c’est bien ici qu’elle a ses origines, mais lointaines, mais obscures. Sans doute l’élément essentiel, pour ne pas dire unique, de ce style est la ligne sonore et la succession, non la combinaison des notes. Mais entre les notes qui se suivent, les rapports sont primitifs et sommaires, très inférieurs à cette économie profonde et subtile que sera plus tard la phrase des grands mélodistes italiens ou allemands. Le petit nombre des modulations n’a d’égal que la monotonie des cadences. Le rythme change peu : sauf un ou deux mélismes, de couleur assez antique, presque toutes les valeurs sont lentes : la blanche et la noire dominent. Cette musique est donc peu de chose dans le temps. Peu de chose aussi dans l’espace : elle n’y trace qu’une seule ligne, et les intervalles qu’elle met entre les points de cette ligne, ou les notes, manquent en général de largeur autant que de variété.

Mais de la mélodie future ce qui s’annonce le moins, c’est l’appareil régulier et classique : c’est l’élément de périodicité et de carrure, de correspondance et de retour. Les phrases se suivent, mais ne se ressemblent ou ne se répètent pas. Au gré, non pas de son caprice, car il n’a pas de caprice, mais de sa logique et de sa raison, le discours oratoire crée un discours musical à la fois conforme et contraire d’avance à celui que, deux siècles et demi plus tard, Wagner rétablira : contraire par le manque à peu près absolu du complément et du commentaire de la symphonie ; conforme par l’écoulement d’une mélodie ou d’une mélopée continue, asymétrique, et qui mériterait déjà d’être appelée infinie.

Cette musique parle ; elle raconte ; elle chante pou. Oratoire et narrative, elle est presque entièrement dépourvue de lyrisme. Toujours allante, il n’arrive presque jamais qu’elle s’arrête, émue et comme saisie par un sentiment, pour essayer de le saisir à son tour et surtout de le développer. Elle note exactement, mais sommairement, et elle passe. En un mot, elle est le récitatif à son début avec toute sa pureté déjà, mais souvent encore avec toute

  1. Préface d’Euridice.