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réunissaient, épris d’un commun amour, exaltés par le même enthousiasme, tous les serviteurs de l’idéal antique, redevenu l’idéal nouveau. C’était Gian-Battista Doni, l’auteur de nombreux traités d’esthétique musicale et l’inventeur d’une double lyre qu’il avait offerte à un pape de la famille Barberini. C’était Rinuccini, le poète des deux Euridice ; Jacopo Corsi, toujours « enflammé » (infiammato), « qui ne se contentait en musique de rien de moins que de la perfection, et formait les compositeurs par d’excellentes pensées et d’admirables doctrines, ainsi qu’il sied en si noble matière (come conveniva a cosa si nobile). »

Mais les deux principaux artisans de la réforme, parce qu’à la doctrine ils joignirent les œuvres, furent Jacopo Péri et Giulio Caccini. En décriant leur caractère à tous deux, l’histoire a, dit-on, calomnié Caccini ; mais de Péri du moins il semble qu’elle n’ait fait que médire. Caccini, rapporte M. Romain Rolland, « a d’abord une politesse de manières, une gentilezza de style qui charme, quand on pense au verbe prophétique et à l’énorme vanité de nos musiciens du XIXe siècle. Caccini est un homme de bonne compagnie. La tendresse de son âme affectueuse ne se traduit pas seulement dans ses chants, mais dans la reconnaissance qu’il est toujours prêt à témoigner à ses amis et à ses maîtres. C’est un cœur ingénu de véritable artiste, et tout pénétré de musique. » Péri paraît avoir eu moins de douceur et d’honnêteté, moins d’honneur aussi. Quelques-uns de ses contemporains lui reprochent ses mœurs dissolues, ses prétentions et son orgueil. Ils se moquent également de sa personne physique. « Il était de taille moyenne, et très maigre. Dans sa vieillesse, il avait les jambes non seulement décharnées (senza polpe), mais beaucoup plus grosses en bas qu’en haut, et avec cela terminées par de certains pieds si larges, et dont les pointes étaient si fort éloignées l’une de l’autre, qu’en cheminant par les ruelles, il n’était pas loin de les prendre dans la porte des boutiques[1]. » En revanche, il possédait d’autres avantages. Il eut, jusque dans sa vieillesse aussi, une splendide chevelure d’un blond fauve, qui l’avait fait surnommer Il Zazzerino Elle flamboyait, semblable à celle d’Apollon, et, quand le Zazzerino chantait, ses auditeurs, que hantaient

  1. Voyez dans les Essais de diphthérographie musicale d’A. de la Fage, un sonnet de Francesco Ruspoli, avec le commentaire de Stefano Rosselli.