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Palestrina lui-même, qui vint la sauver, ne la dégagea qu’à demi. Quoi qu’il y ait de verbal, c’est-à-dire de favorable au mot, dans la réforme qui porte son nom, l’immortel auteur de la Messe du Pape Marcel est beaucoup moins l’un des maîtres de la parole en musique, que l’un de ceux de la musique pure. Après lui, de nouveau la fortune changea. Restaurant l’antique monodie, Florence créa l’opéra récitatif et, comme aux siècles païens, la poésie ou la parole redevint, pour un temps, souveraine. C’est ce temps que nous voudrions étudier aujourd’hui ; c’est la forme florentine, primitive et verbale, du drame lyrique au début du XVIIe siècle ; c’est aussi la trace, lointaine, mais profonde, que plus tard en France, dans l’opéra de Lully et jusque dans l’opéra de Gluck, cette forme, longtemps vivace, a laissée.


I

Les premières années du XVIIe siècle ont vu la Renaissance de la musique. Ce mot suffit à définir cette époque, et ce mot dit tout, conférant à la musique d’alors les deux caractères généraux et essentiels de la Renaissance : l’amour de l’antiquité et le développement de l’individu. La Renaissance musicale, on le sait, a tardé plus que toute autre : un siècle environ de plus. Elle vint pourtant ; et l’évolution ou le cercle de l’esprit fut par elle fermé.

A la fin du XVIIe siècle, Palestrina touchait au terme de sa vie. C’est alors que la musique, lasse du mysticisme et de la prière, sentit se réveiller en elle l’esprit de l’antiquité. Elle ne connaissait que l’esprit, les œuvres ayant disparu ; mais cet esprit la ressaisit tout entière. Dès le XVe siècle, l’Italie, — Venise surtout, — avait traduit en latin quelques ouvrages importans de musicographie ancienne : les cinq livres de Boëce, de 1491 à 1495 ; en 1498, l’introduction harmonique d’Euclide. A Venise toujours, en 1562, on publiait une traduction d’Aristoxène, de Ptolémée, et des fragmens d’Aristote. Encore une fois, c’est la doctrine qui reparaissait, sans la pratique, et cette demi-révélation avait ses périls. Mais la crainte, ou l’idée seule, en était effacée par la joie de ranger enfin la musique, après les autres arts, sous l’antique loi de beauté. Sans compter que, dans la musique, l’imitation ne pouvant se régler que sur des principes, et non, comme en sculpture ou en architecture, sur des modèles concrets, la