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les gardes municipaux, fusillés la veille, à deux pas, dans l’enclos de la rue Haxo !

Mais son cœur était fermé aux colères vengeresses. Deux jours plus tôt, il avait, du sommet de Montmartre, contemplé l’incendie de Paris. Autour de nous, les cadavres épars attestaient le combat à peine terminé : au bas, sur les flancs de la butte, et jusque dans les rues lointaines, la fusillade claquait encore en éclats sinistres ; à nos pieds, un large fleuve de fumée, coupé par des torrens de feu, courait en un monstrueux tourbillon, des Tuileries à l’Hôtel de Ville : la cité paraissait tout entière prête à s’abîmer : et, dans la magnificence d’un horizon sans nuages, le soleil, cependant, descendait, glorieux et pacifique, derrière l’arc triomphal des Champs-Elysées. Le général de Ladmirault n’était ni un mystique, ni un exalté : son sang-froid, je l’ai dit, ne se démentait jamais : cependant, étrangement ému de ce spectacle prodigieux, il se tourna vers nous et, de sa voix grave : « Venez, Messieurs, dit-il, venez voir les prophéties s’accomplir ! »

Il faisait allusion aux prophéties qui, alors, comme à toutes les heures tragiques, hantaient les esprits, annonçant des catastrophes innomées : mais sa parole exprimait des idées plus profondes. Dans cette épouvante imprévue, vainqueurs et vaincus, également lamentables, lui apparaissaient domptés par une force surnaturelle : l’humaine répression révélait, devant cet excès de folie, sa fatale impuissance, et peut-être, pour panser la plaie, brutalement découverte, songeait-il, comme nous, à d’autres remèdes, dont le radieux sourire du printemps montrait au ciel la lointaine promesse.

Dieu disposait ainsi les cœurs. Six mois après, dans le salon du Louvre où nous recevions les visiteurs, le saint et vénérable directeur du cercle d’ouvriers du boulevard Montparnasse, Maurice Meignen, se rencontrait avec René de La Tour du Pin et moi, et, près de la fenêtre d’où nos regards apercevaient la ruine des Tuileries incendiées, il nous conviait au salut du peuple par l’amour et le dévouement. Tandis que sa parole ardente tombait en nos esprits préparés par tant et de si redoutables leçons, les souvenirs de Montmartre et de Belleville inclinaient sans doute aussi notre chef vers les mêmes pensées. Il comprit l’état de nos âmes, connut nos résolutions et les approuva par la liberté qu’il nous laissa. Quand, à la fin de 1871, l’Œuvre des cercles catholiques leur donna une forme définitive, le général de Ladmirault