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l’administration du pays, et de tisser, cependant, la trame de sa politique personnelle, il voulait, en outre, porter son infatigable activité et exercer ses vieilles prétentions à l’art de la guerre.

On parle beaucoup aujourd’hui de l’arrogance des généraux vis-à-vis du pouvoir civil ! A coup sûr, ce ne fut pas nos vieux chefs qu’on en put, alors, accuser : cette inclination naturelle, que j’ai signalée chez le général de Ladmirault, à accepter, en toutes choses, l’autorité légale, trouvait, ici, sa plus éclatante manifestation, et je crois bien que la même vertu, puisque c’en est une, se rencontrait chez le maréchal de Mac-Mahon. Quand le coupé de M. Thiers arrivait à Rueil, et que le petit homme d’Etat, levant ses pieds du coussin de velours où il les reposait, en descendait dans sa redingote napoléonienne, suivi du maréchal, qui se glissait modestement derrière lui, nul, assurément, à voir de quel air grave et respectueux le commandant du premier corps recevait au perron le chef du pouvoir exécutif, n’aurait pu surprendre, dans l’attitude de tous ces personnages, rien qui ressemblât à une suprématie du pouvoir militaire.

Spectateurs curieux de ces entrevues, nous en montrions souvent, je l’avoue, quelque impatience. Le général ne s’y associait jamais. Pourtant ce n’était pas de politique que M. Thiers venait l’entretenir, mais de plans d’attaque, de batteries à établir, de tranchées à creuser : et il fallait bien, quoiqu’on en eût quelquefois, en passer par où le voulait l’impérieux vieillard. Encore n’était-ce que demi-mal, quand la visite se terminait par quelque excursion au Mont-Valérien, ou à la batterie de Montretout, d’où M. Thiers prenait plaisir à voir lancer des obus, que les officiers d’artillerie faisaient tirer, pour éprouver son endurance militaire, le plus près possible de ses oreilles.

Mais les conseils de guerre tenus par le chef de l’Etat avaient, quelquefois, de plus graves conséquences. Il prêtait volontiers l’oreille à des émissaires parisiens, d’une autorité au moins douteuse, qui promettaient de lui livrer la nuit, par surprise, une porte de Paris, sur un signal convenu. Quelque improbable que parût le succès de ces entreprises hasardées, il s’y attachait avec une ténacité devant laquelle succombaient toutes les objections. Les généraux obéissaient ; et, alors, c’était, à dix heures du soir, tout le corps d’armée on mouvement, la Seine laborieusement franchie à Suresnes sur deux ponts de bateaux, puis l’invasion nocturne du bois de Boulogne, où les troupes s’avançaient