montra le cercle menaçant des canons ennemis toujours en feu, la nuit accourant sur sa ligne de bataille ; alors, le général levant lentement sa canne et la laissant retomber, d’un geste épuisé, sur le garrot de son cheval, fit demi-tour et s’enfonça dans l’ombre, retournant vers les siens.
Ce furent d’inexprimables minutes. L’état-major m’avait oublié ; Changarnier s’en aperçut, prévint le général Manèque, et celui-ci, brusquement, m’ordonna d’aller dire au général de Clérembault d’évacuer rapidement le terrain, en écoulant ses régimens vers Metz par le chemin le plus court.
Deux jours plus tard, acheva de tomber sur nous la pierre de notre tombeau, un instant encore soulevée, au combat de Noisseville, dans un effort douloureux que l’inertie calculée de Bazaine rendit impuissant, puis refermée, plus pesante, sur notre lente, hideuse agonie de deux mois !
Les occasions me manquèrent alors de voir le général de Ladmirault ; son quartier de Plappeville était sur la rive gauche de la Moselle, loin de ce triste campement, établi sur la rive droite, sous les murs de Metz et le long de la route de Sarrebrück, où, dans la boue, dans la misère, la division de cavalerie du troisième corps, achevait de périr, livrant, par fournées, ses chevaux à l’abattoir.
Quand, après l’indicible journée du 29 octobre, le triste convoi qui conduisait les officiers en Allemagne fit halte à Mayence, où devaient être fixées nos destinations, je retrouvai le capitaine de La Tour du Pin : quelle rencontre et quelle étreinte, après celles de Rezonville !
Déjà, cependant, nous tournions nos pensées vers l’avenir. Dans le désastre, le mur qui, depuis le 20 août, nous séparait du monde, s’était écroulé. Pendant le siège, l’ennemi n’avait laissé venir à nous que le bruit des catastrophes, les nouvelles déprimantes, les récits mensongers ou troublans : Sedan, la révolution, la résistance anéantie, la France partagée entre l’invasion et l’anarchie. Bazaine n’avait pas su donner aux esprits inquiets d’autre aliment, ou ne l’avait pas voulu. Soudain, la patrie nous apparaissait en armes, convulsée par un effort gigantesque, Paris inviolé, la province debout ! Ce fut comme une revanche pour nos cœurs ulcérés. Quelles mains tenaient le drapeau ? nous ne le voulions pas savoir, mais seulement qu’il flottait encore, quand les nôtres étaient livrés. Ceux que n’a pas secoués, après