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On s’étonnera peut-être que des écrits presque entièrement oubliés, rarement consultés par les historiens eux-mêmes, aient pu faire des blessures aussi durables. Mais il ne s’agit pas ici d’une influence directe ; ce n’est pas dans les écrits de Mathieu de Morgues et de ses émules que nos contemporains ont puisé les impressions qui ont profondément altéré la physionomie morale de Richelieu. Il faut se rappeler que ces pièces satiriques ont eu, de leur temps, beaucoup de lecteurs ; qu’après avoir, pour la première fois, vu le jour sous la forme légère de livrets répandus à profusion comme le sont les œuvres de propagande, elles ont été reproduites dans de gros recueils et sont devenues, par leur réunion, des livres de bibliothèque. Elles ont, grâce à cette publicité étendue et prolongée, vulgarisé certains traits de caractère qui ont éloigné la sympathie de celui à qui on ne pouvait guère refuser l’admiration : insensibilité, ingratitude, fourberie, esprit vindicatif, légèreté de mœurs, cupidité, cruauté. La dénonciation de ces vices et des vues tyranniques au profit desquelles ils s’exerçaient est passée des pamphlets dans un ouvrage historique trop consulté et trop lu, bien qu’il ne justifie cette confiance et ce succès, ni par l’abondance des informations, ni par l’impartialité, ni par la critique, l’Histoire de Louis XIII du renégat Michel Le Vassor. Les accusations mises en circulation par les libelles, consacrées par un historien qui jouit d’un crédit usurpé, ont été adoptées et popularisées par le roman et le théâtre, qui ont besoin, pour réussir, de compter avec l’idée que le public se fait des personnages qu’ils mettent en scène et qui trouvent dans les antithèses psychologiques un de leurs plus puissans effets ; de là une figure où les passions mesquines et odieuses de l’homme s’opposent aux entreprises glorieuses du ministre. En même temps que la littérature d’imagination, plus soucieuse, comme c’est son droit, de l’intérêt dramatique que de la vérité, exploitait des préventions déjà fort répandues, une certaine philosophie de l’histoire de France, née en partie des échecs de la monarchie constitutionnelle, s’en prenait à Richelieu du développement historique imposé à notre pays par l’impuissance politique de la noblesse et du Tiers-État. Comme si ce n’était pas assez, pour assombrir son image, des libertés de la fiction et des faux systèmes des historiens, son prestige était menacé par les maladies qui entamaient l’âme française. Scepticisme politique, cosmopolitisme de dupe, philanthropie complice, discrédit de l’autorité, même chez ceux