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cependant, de même que les villes de la Bourgogne, du Bourbonnais, de l’Auvergne et du Rouergue avaient refusé d’ouvrir leurs portes à l’héritier de la couronne, celles du Languedoc, Albi, Carcassonne, Narbonne, Montpellier, Nîmes, Beaucaire fermèrent les leurs au gouverneur. Il y a, dans la vie de Richelieu, un épisode qui, tout en étant, en réalité, moins concluant que cette muette manifestation, a l’air de l’être davantage, parce qu’il met sa personne même en cause. C’est l’année de Corbie. Les coureurs croates poussent leurs reconnaissances jusqu’à Compiègne. A Paris, la fermentation contre le cardinal est à son comble, les placards se multiplient, les pasquins circulent impunément, la foule s’en approprie et en répète les accusations, il est hué quand il passe dans les rues. Voilà bien l’impopularité. Mais attendez. Richelieu monte en carrosse ; il se fait conduire, escorté seulement de quelques laquais, aux endroits les plus fréquentés, il parle à la multitude le langage que lui dictent son patriotisme et son esprit d’à-propos, et, sur son passage, l’effervescence tombe, le silence se fait, la sympathie s’éveille. Le soulèvement de l’opinion contre un gouvernement après de graves revers militaires est une chose trop habituelle, le revirement qui, dans cette circonstance, a transformé ce soulèvement en élan de confiance et de patriotisme a été trop instantané pour qu’on puisse voir dans cet épisode l’indice d’une véritable impopularité ; il ne nous donne, en réalité, qu’une preuve de plus de la mobilité populaire.

Aucun de nos lecteurs, d’ailleurs, ne se méprendra sur notre pensée, aucun ne nous prêtera l’intention paradoxale de vouloir insinuer que Richelieu ait été à quelque degré populaire. La conception altière et sereine que ce grand homme se faisait de l’autorité, sa réserve facilement hautaine et ses instincts aristocratiques lui épargnèrent jusqu’à la tentation de rechercher cette faveur précaire qui ne s’obtient jamais sans un certain abaissement moral, sans un certain affaiblissement matériel, et qui ne pouvait venir spontanément à lui, car il ne lui fut pas donné de procurer au peuple la paix et l’allégement des charges publiques, qui sont ù ses yeux les premiers des biens. On le comprend, ce que nous cherchons ici, c’est à nous rendre compte du crédit des pamphlets sur l’esprit public et de l’aliment fourni par l’esprit public aux pamphlets, de la complexité des sentimens qui régnaient dans l’ensemble et dans les diverses classes du pays à