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Richelieu un de ces assauts auxquels l’opinion enrégimentée par une idée générale prête une irrésistible poussée. Pour ébranler avec son concours cette fondation du génie, il aurait fallu s’emparer des contradictions apparentes d’une politique qui continuait une tradition, mais dont le plan et la méthode échappaient à la masse moyenne du pays ; il aurait fallu rassembler dans une puissante synthèse toutes les mesures d’exception et de rigueur, tous les procédés empiriques, tous les expédiens du gouvernement, faire sentir au pays le prix que lui coûtait, que coûtait aux autonomies locales, à l’esprit, encore très vivant, de classe, de corps et de clocher, l’établissement de l’unité politique, faire appel aux tendances fédéralistes et individualistes auxquelles les guerres de religion et la Ligue avaient ouvert une libre carrière et que l’administration autoritaire de Henri IV était loin d’avoir entièrement comprimées. A la France, que le grand ministre entreprenait de refondre et de forger, il aurait fallu opposer la vieille France, embellie de la séduction que présente toujours une société animée par la fermentation et l’éclosion de la vie, alors même que cette société est tumultueuse et anarchique ; il aurait fallu rappeler à la noblesse, hier encore féodale, à la bourgeoisie urbaine ses droits historiques, ses titres méconnus, il aurait fallu réveiller dans les âmes ces instincts de justice abstraite, d’envie et de révolte qui font les révolutions. Quel magicien, parant le passé de si belles et si menteuses couleurs, dissimulant tant de récentes misères, aurait eu la puissance d’évoquer, pour rabaisser celle de son temps, cette France devenue, grâce aux prestiges de l’imagination, harmonieuse en ses disparates, respectueuse de toutes les traditions, de tous les privilèges, de toutes les forces sociales ? Nul autre assurément qu’un théoricien politique, épris et nourri des antiquités nationales, aussi attaché par les illusions que par la science à l’âge d’or de la monarchie française, ayant tiré de cette science et de ces illusions des vues générales sur le présent et l’avenir de son pays, un érudit, un penseur, un écrivain, comme, par exemple, l’auteur du Franco-Gallia, François Hotman.

Si tout manquait à Chanteloube pour se porter contre son grand adversaire le défenseur du droit national, il savait du moins présenter une thèse d’une façon spécieuse, avec art et avec une gravité dont Mathieu de Morgues, on le sait, s’affranchissait souvent. Jamais ces qualités secondaires ne se sont montrées d’une