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moderne, — le mot est de Mathieu de Morgues, — avait des chances d’être adoptée par la partie la moins éclairée du public, parce qu’elle flattait ce besoin de la psychologie populaire d’expliquer par une conspiration et par un traître les malheurs publics et privés ; parce qu’elle ravivait les souvenirs laissés par Concini, par Luynes et, avant eux, par les Guises ; parce que l’éclat royal dont s’entourait le tout-puissant ministre rendait comme sensibles pour la foule de pareilles visées. Rien non plus ne pouvait davantage blesser le roi, à qui l’on prêtait ainsi le rôle de dupe, ni l’irriter autant contre celui qui le lui faisait jouer.

Mais, si une fable aussi invraisemblable pouvait tromper le vulgaire, elle risquait seulement de prévenir, contre l’abbé de Saint-Germain et son entreprise, en leur faisant voir en lui un adversaire plus soucieux de frapper fort que de frapper juste, les esprits éclairés. Ce qu’il aurait fallu montrer à ceux-ci, ce n’était pas un ministre tellement affolé d’ambition qu’il conspire contre son maître et veut mettre la couronne sur sa tête, c’était le contempteur, le destructeur des autonomies locales, des institutions traditionnelles de contrôle, le créateur de tant de tribunaux d’exception, le novateur n’innovant qu’au profit du despotisme. S’il entrait aussi dans ce Richelieu-là une part de convention et de fantaisie, ce n’était plus du moins le traître de mélodrame que la crédulité la plus grossière pouvait seule accepter, c’était un portrait assez ressemblant pour faire haïr son modèle par beaucoup d’esprits indépendans, d’admirateurs du passé. Que Mathieu de Morgues ait exploité contre son adversaire les concessions de celui-ci à la raison d’Etat, nous ne le contestons pas, mais, sur ce terrain non plus que sur celui de la politique étrangère, il n’a pas su voir de haut et embrasser tout son sujet, s’élever de ces violations du droit commun à l’esprit du gouvernement, faire le procès à cet esprit, lui opposer ce régime tempéré dont notre histoire faisait briller le séduisant mirage, montrer que la liberté était aussi ancienne dans notre pays que le despotisme était récent, honorer et populariser l’intérêt de la reine mère en le liant à la défense des anciennes libertés nationales.

Inintelligence des meilleures ressources de sa cause, absence de vues générales sur la politique et le gouvernement qu’on pouvait préférer pour la France à la politique et au gouvernement de Richelieu, tel est le vice fondamental de la polémique de l’abbé de Saint-Germain. Si elle s’en trouve singulièrement abaissée,