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La Chine, dans ses rapports avec les autres puissances, comprend encore très mal que des Etats, inégaux en fait, aient le même droit au respect de leur existence, de leur indépendance et de leurs facultés juridiques. Qu’est-ce qu’une association dont les membres n’aspirent qu’à s’entre-déchirer ? La Chine jette un élément de perturbation dans la société des peuples en y apportant sa haine implacable des étrangers.

En janvier 1841, après que les Chinois ont feint de négocier pour compléter leurs armemens, des édits impériaux déclarent l’ « extermination » des Anglais « sainte et nécessaire ; » la tête des chefs et des soldats est mise à prix. Deux mois plus tard, l’Empereur écrit à son géréralissime Yi-chen : « Allez, hâtez-vous, attaquez et exterminez. » Le gouvernement parvient sans peine à provoquer dans le cœur du bas peuple une explosion de haine contre les étrangers. « Quand nous serons réunis, plusieurs centaines de milliers d’hommes forts et alertes, lit-on dans un de ces manifestes populaires[1], quelle difficulté aurons-nous à vous couper par la racine ? Nous vous attaquerons par terre et par eau. Nous ne voulons pas qu’il reste sur notre terre l’ombre d’un seul rebelle ; nous ne permettrons pas qu’un seul de vos navires infernaux aille raconter vos désastres. »

La haine des « diables étrangers » s’est enracinée plus profondément encore après les événemens de 1859 et de 1860. Si les Européens étaient vaincus, le Céleste-Empire les achèverait avec une fureur sans égale par le fer et par le feu : cependant nos victoires mêmes ne leur inspirent qu’une médiocre terreur et, le premier moment de stupeur une fois passé, leur aversion, leur insolence ne connaissent plus de bornes. La plupart des sociétés’ secrètes comme celles des Taïpings, des « Trois Vérités » (Triade), le Nénuphar blanc, le Grand Couteau, le Poing de l’Harmonie publique, qu’elles s’accordent ou se disputent avec le gouvernement, (énigme généralement indéchiffrable), se proposent avant tout l’expulsion des étrangers.

La guerre sino-japonaise semblait avoir un peu refroidi l’ardeur des xénophobes, et M. Pierre Leroy-Beaulieu constatait, en 1897, non sans quelque surprise, que les Européens n’étaient plus aussi souvent insultés dans les rues de Pékin. Mais le coup d’État du 22 septembre 1898 inaugure une politique de réaction

  1. Traduit par M. Ad. Barrot. Voyez la Revue du 1er juillet 1842.