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LE FANTÔME.

tuer… Et, comme d’Andiguier esquissait un geste de saisissement à la fois et de dénégation : — Vous ne me croyez pas ! insista-t-elle. Écoutez… Hier soir, aussitôt après le dîner, il était sorti, comme il fait souvent. C’est moi-même qui insiste pour qu’il ne reste pas à la maison, quand nous sommes seuls. Voilà notre intérieur !… Il était rentré plus tôt que d’habitude, vers les dix heures, et il était venu me dire bonsoir. J’aurais dû me douter de quelque chose, car il m’avait regardée longuement, et avec quel étrange regard ! Mais tout a été si étrange entre nous ces derniers temps, que même cela ne m’a pas avertie… Je me suis endormie, puis réveillée après ce premier sommeil. Un filet de lumière passait sous la porte qui sépare ma chambre de celle d’Étienne. J’ai fait sonner ma petite pendule. Il était plus de trois heures. Il ne dormait pas. J’ai eu peur qu’il ne fût souffrant. Je me suis levée. Et puis, voyez encore où nous en sommes, j’ai eu une autre peur, — qu’il ne fût mécontent, si j’allais lui demander pourquoi il veillait. J’ai écouté. Il m’a semblé entendre qu’il marchait de long en large. Ensuite un silence. Je suis venue jusqu’à la porte et je l’ai entr’ouverte, très doucement. Il était assis à sa table, au fond de la pièce, qui rangeait des papiers, des feuilles qu’il mettait dans une grande enveloppe. Il était si absorbé dans cette occupation qu’il ne m’avait pas entendue. Il y avait sur la table plusieurs autres lettres, fermées celles-là, et à côté du fauteuil, une corbeille, remplie jusqu’au bord de morceaux déchirés. Je demeurai, paralysée de terreur, devant ces préparatifs qui avaient quelque chose de sinistre, dans ce silence de la nuit, et qu’éclairaient deux bougies, à moitié consumées. Étienne ne s’était pas déshabillé. Tel il était rentré, quelques heures auparavant, tel je le retrouvais, se disposant à quoi ? Je n’osais pas croire à l’affreuse idée qui venait de surgir dans mon esprit, et je me taisais, cachée dans les plis de la portière, et tremblante comme tout à l’heure, comme maintenant… — Et elle montra à d’Andiguier qu’en effet, à ce seul souvenir, ses mains étaient agitées d’une secousse nerveuse : — Quand il eut mis ces feuilles dans la grande enveloppe, il la cacheta, la posa bien en évidence sur la table, avec les autres. Puis, il ouvrit un tiroir du bureau, il y prit un pistolet, avec une boîte de cartouches et il commença de le charger. À ce moment-là, j’ai poussé un grand cri… Son premier mouvement fut de cacher l’arme, en jetant des papiers dessus… Mais déjà, je m’étais pré-