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tante, il en avait soif aussi, et c’était un groupe poignant que celui de ce vieillard, debout devant cette jeune femme, tous deux contractés d’angoisse, dans ce décor de tableaux et de marbres, de tapisseries rares et de meubles précieux, par cette belle matinée de printemps, avec le bruissement vert des feuillages et le chant des oiseaux derrière les hautes fenêtres entrouvertes. Mais déjà la respiration d’Éveline se faisait plus régulière, l’agitation convulsive dont elle avait été saisie à son arrivée s’apaisait, et d’Andiguier lui disait, avec le ton affectueux, tout mélangé de gronderie et de gâterie, qu’il prenait volontiers avec elle :

— Te sens-tu mieux ?… Souffrante comme tu l’es, est-ce raisonnable, de venir de la rue de Lisbonne ici ?… Les Malclerc habitaient, depuis leur retour à Paris, l’ancien hôtel de Mme Duvernay. — Mais oui, continua-t-il, c’était si simple de m’écrire que tu m’attendais chez toi… J’y serais allé, et tout de suite.

— Je le sais, fit Mme Malclerc. — Elle eut un sourire de reconnaissance, et aussitôt un véritable effroi se peignit sur son expressif visage, tandis qu’elle reprenait : — Chez moi ? Non. Non. Ce n’était pas possible… Étienne aurait su que vous étiez là… Il serait entré pendant que je vous parlais. À tout prix, il fallait éviter cela…

— C’est donc de lui qu’il s’agit ? interrogea d’Andiguier, et de ton ménage ?… — et, comme elle baissait la tête, en signe d’acquiescement : — Je l’avais bien deviné ! s’écria-t-il, tu n’es pas heureuse ! Et il répétait, sans mesurer la portée de ses paroles ; — Tu n’es pas heureuse, toi non plus… Mais, voyons, je suis là, pour t’aider, pour te soutenir, pour te défendre… Aie confiance en moi, et dis-moi tout. Que se passe-t-il ?…

— Ah ! répondit-elle douloureusement, si je le savais ! Si je comprenais ce qu’a mon mari !… Car c’est vrai, c’est bien de lui que je voulais vous parler et de notre ménage, si cela peut s’appeler un ménage, de vivre côte à côte, mais sans entente, séparés par quelque chose que l’on ne peut ni définir, ni exprimer, et qui est là… Ne pensez pas que je suis folle, ni que je me sois forgé des chimères. Ce qu’il y a entre nous, je ne le sais pas. Mon mari est la victime d’une idée que je ne connais pas, que je ne devine pas… Mais que cette idée existe, qu’elle le ronge, qu’il en soit arrivé à tant souffrir qu’il ne peut plus se supporter, j’en ai une preuve trop affreuse… Je l’ai surpris cette nuit, entendez-vous, cette nuit, au moment où il allait essayer de se