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effroyable nouvelle : Mme  Duvernay avait été tuée dans un accident de voiture. Les affreux détails lui avaient été donnés par un journal. Elle descendait l’avenue des Champs-Élysées dans sa Victoria. Les chevaux avaient pris peur. Ils s’étaient emportés à une vitesse vertigineuse jusqu’à la place de la Concorde. Là, le cocher, impuissant à les retenir, les avait précipités contre une grosse voiture de déménagement, qui se trouvait devant lui, au coin de la rue de Rivoli. La voiture avait été brisée en morceaux, Mme  Duvernay précipitée sur le trottoir. Sa tête avait donné contre l’angle. Elle était morte du coup…

Il y a des chagrins si imprévus et si terribles, que nous nous étonnons ensuite, quand le temps a, malgré tout, fait son œuvre d’endormement, d’avoir pu, frappés par eux, les supporter. La stupeur de les apprendre nous a, au premier moment, empêchés de les réaliser, et nous les avons traversés, parce que nous les avons sus, sans y croire vraiment. Cette espèce de désarroi mental qui fait, pendant quelques heures, pendant quelques semaines parfois, vaciller en nous le sens de la certitude est comme un anesthésique de la nature. Elle veut que nous durions, même après la mort de ceux qui semblaient ne pas devoir, une fois disparus, nous laisser tout entiers vivans, tant nous les sentions amalgamés à notre être intime. D’Andiguier se souvenait d’avoir regagné Paris d’un trait, la fatale nouvelle reçue, — comme en rêve, — d’avoir, comme en rêve, assisté à l’enterrement de son amie, tellement atterré de cette catastrophe qu’il ne l’admettait pas, même en voyant les draperies noires, le cercueil, tout le funeste appareil, même en embrassant avec des larmes la pauvre petite Éveline. La réalisation de la monstrueuse chose ne s’était faite en lui que plus tard, quand il avait dû, en sa qualité d’exécuteur testamentaire, veiller à l’accomplissement des dernières volontés d’Antoinette, — d’une surtout, dans laquelle s’était ramassée toute la douleur de cette mort. Que la jeune femme, à un âge où l’on n’a guère de ces précautions, eût écrit, elle aussi, son testament, cela n’était point pour l’étonner, la sachant prévoyante jusqu’à en être minutieuse, — tout au plus eût-il pu être surpris qu’au contraire, elle se fût avisée de ce soin si tard. Ce testament, comme inspiré par un don de seconde vue, était daté de sept mois avant le funeste accident. Qu’elle l’eût choisi, lui, d’Andiguier, pour présider à la distribution des petits sou-