Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/496

Cette page a été validée par deux contributeurs.
492
REVUE DES DEUX MONDES.

férent de ce hall d’hôtel, et le groupe vers lequel son camarade l’entraînait : le sourire banal de Mme de Montéran, le salut correct du fiancé et le regard impénétrable de la jeune fille. Était-ce bien elle qui, une demi-heure plus tôt, gémissait désespérément dans la solitude de sa chambre ? Ce délicat et joli visage, que Philippe d’Andiguier avait vu, si peu d’instans auparavant, comme révulsé de douleur, ne montrait à ce moment aucune trace de l’émotion qui s’était épanchée dans de tels sanglots. Il y avait dans cette physionomie, qui n’était pourtant pas hypocrite, — elle était si pure, si virginale ! — une espèce de douceur distante, quelque chose de gracieux et d’inaccessible à la fois, une réserve trop surveillée pour n’être pas toujours un peu mystérieuse. Mais, ayant vu ce qu’il avait vu, et retrouvant cette enfant, qui sortait de cette effroyable crise de douleur, si calme entre sa mère, son père et son fiancé, comment Philippe n’aurait-il pas éprouvé, à un degré presque affolant, cette sensation de mystère ? Il vit distinctement, sur ce visage absolument fermé, passer comme une ondée du sang à son approche et dans ces yeux bleus comme une supplication… Et ce fut tout. Ni la mère, ni le père, ni le fiancé ne s’en aperçurent. Aucune de ces trois personnes, d’ailleurs, soupçonnait-elle qu’Antoinette cachât, derrière son attitude modeste et paisible, la tempête d’une grande douleur intérieure ? D’instinct, Philippe se répondit que non, et d’instinct aussi il se dit que le principe de douleur était là, dans ce mariage que le père lui avait annoncé avec cet accent de triomphe, et, maintenant que Philippe d’Andiguier voyait les jeunes gens l’un en face de l’autre, comment n’eût-il pas pensé que le cri de désespoir jeté par Mlle de Monteran n’avait pas d’autre cause ? L’antithèse était trop forte entre ces deux êtres. Durant tout le dîner, qu’il prit à une petite table voisine de la leur, Philippe eut le loisir de s’abîmer, de s’hypnotiser dans l’étude des deux fiancés, et aussi, hélas ! d’achever de boire par les yeux, en regardant la jeune fille, ce poison de l’amour, qui courait déjà dans ses veines. Plus il l’analysait, plus la grâce idéale et un peu souffrante de cette tête le ravissait, et, plus aussi le souvenir des larmes qu’il avait vues couler sur ces joues minces lui brûlait le cœur d’une inexprimable pitié. Il voyait maintenant le détail de ces traits dont il avait, au premier regard, admiré la finesse et il les trouvait plus fins, plus suaves encore, et la nuance des cheveux blonds plus soyeuse, et la coupe du front plus noble, et la